Être avec Aodren un jour, ça n’avait pas été quelque-chose à quoi Tessa avait voulu donner beaucoup d’intérêt; pour les derniers mois qui venaient de passer, déverser quelques pensées, attentes et espoirs dans ce futur-là avait semblé déjà lui pomper bien de son énergie. Elle n’avait jamais osé vraiment croire au concret, aux tournures que prendraient les choses s’ils se disaient vraiment leurs sentiments; c’n’était pas pour rien, au fond, qu’il avait été plus aisé pour la blonde d’imaginer les scénarios catastrophes, plutôt que des possibilités positives. Après tout, ils étaient amis depuis longtemps, il avait été le jeune homme qui consommait un peu les histoires comme elles venaient, et qui ne semblait pas totalement désireux de se poser; ç’avait été, il lui semblait, un des premiers points qui avaient entouré son inscription sur MatchMaker, le fait qu’il dise qu’il n’cherchait pas particulièrement et exclusivement l’amour, parce qu’il s’y était déjà brûlé. Il avait eu besoin de temps, et peut-être en avait-il encore besoin, s’était-elle dit la Dyer, encore quelques minutes plus tôt, quand elle l’avait laissé partir à la recherche de churros, et qu’elle était restée sur sa couverture, à essayer de reprendre contenance. Non, elle n’l’avait certainement pas vu venir, quand il avait fait demi-tour, pour venir l’embrasser et complètement mettre son monde dans tous les sens. Avait-elle passé tant de temps, à n’rien comprendre des signaux qu’ils s’étaient échangés? Les regards, les attentions, les efforts qu’ils avaient faits l’un pour l’autre? C’était difficile de savoir s’ils avaient progressivement passé plus de temps ensemble, si ç’avait été une marque de leurs envies de plus en plus pressantes, à se voir dès que possible; voilà trois ans maintenant qu’ils vivaient rien que tous les deux, qu’ils petit-déjeunaient ensemble dès qu’ils en avaient l’occasion, et qu’ils passaient leurs soirées rien que tous les deux. Parfois, y’avait même eu des week end où ils n’avaient pas bougé de l’appartement, où ils n’s’étaient presque pas quittés, et où ni l’un ni l’autre n’semblait avoir eu le besoin ou l’envie de s’éloigner. Ce qu’elle avait essayé de réprimer ces derniers temps, Tessa, ç’avait surtout été toutes les fois où elle aurait voulu lui dire de n’pas partir - à un rendez-vous, plus souvent que pour n’importe quoi d’autre; elle avait fait son possible, pour juste le laisser faire son chemin, chercher la personne qu’il voulait chercher, persuadée un peu plus à chaque fois, que ce n’serait pas elle, alors. Sinon, pourquoi est-c’qu’il sortirait? Sinon pourquoi est-c’qu’elle sortirait? Ouais, elle voyait bien le paradoxe maintenant, le genre de cercle-vicieux qu’ils s’étaient joués à eux-mêmes, et aussi stupide Tessa allait-elle se mettre à s’voir d’ici quelques jours, elle n’pouvait pas prétendre qu’elle aurait été plus brave, si elle avait dû remonter le temps pour pouvoir tout réécrire. Voilà alors que nombre des rencards, peut-être désastreux, sans doute décevants, qu’elle avait connus récemment n’avaient été que le résultat de tout ça; le jeu insidieux de leurs sens, à Aodren et elle, qu’ils n’avaient même pas vu venir, eux-mêmes. Depuis combien d’temps est-ce qu’il savait, lui, pour ce qu’il ressentait pour elle? Combien de fois l’avait-il vue partir avec quelqu’un d’autre, à un genre de rencard, à une sortie pour apprendre à se connaître? Combien de fois s’était-il retenu de lui dire de rester, lui aussi? Ou combien de fois avait-il souffert de la voir essayer quelque-chose avec quelqu’un d’autre? Elle espérait qu’elle n’en était jamais arrivée à l’faire pleurer, mais peut-être que promettre de n’jamais le blesser aurait été ambitieux; elle savait, elle, qu’elle avait été blessée par chaque idée stupide qu’elle s’était construite dans sa tête, quand il était sorti le soir, ou n’importe quand, pour des ‘essais à l’amour’ qui n’étaient pas avec elle.

Combien d’temps est-ce qu’ils avaient perdu, alors? Perdu? Elle n’savait plus, Tessa; il était un peu difficile d’essayer de remonter le temps pour réécrire quoique ce soit, quand elle était si bien auprès d’Aodren, le coeur plus léger qu’il y a quelques minutes, soulagée par ce qui se passait, comme par miracle, autour d’elle. C’était comme marcher dans un rêve, comme graviter dans un univers où elle n’avait plus peur de la déception, des blessures du coeur, ou des désillusions; parce que ouais, l’Adkins ne l’avait jamais blessée comme ça, pour commencer - et puis, qu’est-ce que le monde pourrait lui faire, si elle avait Aodren auprès d’elle, à cent pour cent, sans aucune crainte de le perdre à cause d’une autre femme, venue entre eux deux? Il n’avait plus rien à craindre non plus; là maintenant, pour les minutes que leur conversation durait déjà, la blonde était prête à jurer qu’elle imaginait tout ça pour toujours. Elle n’pouvait certainement pas se profiler d’ici dimanche, lundi ou mardi, à de nouveau être ‘juste amie’ avec le brun, et à devoir essayer d’avancer tant bien que mal, de quelque-chose qui serait (déjà) fini. Non, toute perspective d’avenir avec lui avait été terriblement concrète, terriblement réelle, terriblement palpable, et ç’avait fait peur tout autant. Mais il n’la ferait jamais pleurer, et elle pouvait elle-même assurer - comme elle l’avait fait - qu’il n’était pas dans la catégorie des machos dont elle parlait avec tant de véhémence, levant les yeux au ciel dans un soupir. Oui, lui, il était du côté de ceux qui disaient que c’était incompréhensible, la minuscule part de la population masculine qui était capable de dire et d’penser ça. L’histoire prouvait, en tout cas, que Tessa elle en avait connus, des phénomènes de c’genre. Et probablement que du côté d’Aodren, l’histoire prouvait qu’il avait connu lui aussi, des genres de phénomènes, mais de l’autre côté de la barrière des sexes. Elle pouvait compatir à ça aussi, y’en avait aussi des filles chiantes, fallait pas prétendre le contraire. La Dyer, elle, elle espérait plutôt être bonne à les imiter, les filles chiantes, plutôt qu’à en faire vraiment partie; pourtant, si des fois on avait dû la larguer, ç’avait bien dû être parce qu’on l’avait trouvée ennuyeuse ou emmerdante, ou pas assez bien pour quelque raison que ce soit. Peut-être parce qu’elle demandait trop d’orgasmes, tiens, ce serait une bonne raison bien débile. Ou peut-être pour d’autres raisons, qui étaient bien réelles, et qu’Aodren découvrirait sans crier gare maintenant. En trois ans, elle espérait qu’il n’avait rien vu d’tout ça; sinon, il devait presque croire qu’il s’lançait dans une histoire à double-tranchant, tiens. « Ah oui, tu cherchais vraiment-vraiment, au début? » ne se retint-elle pas de demander, quand il fut question des appartements, bougonnant légèrement entre ses lèvres en prenant une moue triste. Jamais, au grand jamais, elle ne lui avait envoyé quelque signal que ce soit pour lui faire comprendre de partir, ou qu’elle voulait qu’il parte, d’une quelconque façon ou d’une autre. Elle avait été contente de l’accueillir, dès le premier jour; elle avait été contente d’pouvoir être utile, d’pouvoir avoir de la compagnie. Juste... d’être avec lui. Être avec lui, au point que peu à peu, y’ait eu d’autres relations dans sa vie, parfois amoureuses même, qui se soient révélé n’pas avoir d’importance, en comparaison de ce qu’elle avait toujours eu avec le jeune homme. « Hm, à Manhattan, pas loin du centre, avec une super coloc sexy-... t’aurais jamais trouvé. » elle affirma, franche et nette, avec un air assuré, avant de lui sourire. Pourtant, c’était pas comme s’ils n’vivaient dans un petit espace bien intime - elle n’avait pas un deux cents mètres carrés, non plus; alors ouais, à force qu’ils continuent d’élargir leur ‘famille’ avec des chiens, des chats, ils allaient vite être bien serrés; normalement, ça n’devait plus être un problème maintenant, s’ils ne partageaient qu’une chambre. « Hm, on en reparlera quand ils commenceront à courir partout et grimper aux murs, les chats. » c’était typique des chatons après tout, et elle savait au moins ça. Ils étaient trois, trois petites boules de poil qui pouvaient courir dans tous les sens, toute la journée, et qui auraient besoin de plus en plus d’attention. Probablement d’ailleurs, qu’ils allaient devoir bientôt rentrer; un fait auquel Tessa se rappela, tâtonnant dans son sac pour trouver son téléphone et inspecter l’heure. « Bravo, tu as une très bonne hygiène, alors. Peut-être que t’as des poux du coup... » la blonde se moqua encore, quand bien même y’avait aucune chance que des poux aient pu se faire un chemin jusqu’au crâne du brun, avec la tignasse qu’il avait. Vaguement, tendrement, un geste bien habituel, Tessa glissa une main dans ses cheveux noirs, de ses doigts caressant ses boucles, un air songeur accroché au visage. « Peut-être que prendre des douches ensemble nous fera gagner du temps, le matin, aussi. » et elle ne savait absolument pas pourquoi elle venait de balancer ça, rougissant de sa propre connerie sans pouvoir retenir un ricanement, synonyme de gêne et de ridicule tout à la fois. Ils n’allaient quand même pas tout faire ensemble, hein? Pourtant, c’était si tentant, là maintenant, alors qu’ils avaient tout juste brisé la glace, et que Tessa, elle avait tout juste l’impression de pouvoir respirer à nouveau.

Beaucoup de gens pourraient dire que c’était complètement ironique, cette prudence réflexe qui semblait planer, si importante, entre Aodren et elle. En apparences, la blonde avait tout pour avoir l’allure de ces filles qui s’jetaient en plein dans l’aventure, sans vraiment réfléchir et sans avoir peur des dégâts qu’elle causait; le chemin de Tessa, il n’s’était pas construit au rythme de coeurs brisés, de peines insurmontables, et d’apprentissages douloureux. Non, il n’y avait pas un nom qui était dans sa tête et restait dans sa mémoire, comme celui de la personne qui lui avait particulièrement fait du mal, un genre de traumatisme qui l’aurait rendue allergique ou méfiante à l’amour, sceptique face à l’engagement, et effrayée de tout ruiner avec l’Adkins. Elle n’avait pas d’images saisissantes d’un passé amoureux qui s’était particulièrement mal terminé, et d’eux deux, elle était clairement la moins à plaindre. Alors oui, à défaut, au bout d’un moment, la blonde avait fini par se persuader que de toute manière, d’eux deux, ça devait être Aodren, celui qui ‘savait mieux’, et que s’il n’avait rien tenté avec elle, s’il n’semblait pas avoir envie de toutes ces choses stupides et folles qu’elle construisait dans son imagination, c’était justement parce qu’il ‘savait mieux’. Qu’il savait ce qu’il voulait et c’qu’il ne savait pas. Qu’il savait que n’pas trop se frotter à l’amour était encore le meilleur moyen de n’pas s’y brûler. Y’avait bien eu des fois, alors, où la Dyer s’était forcée à faire comme si elle était okay avec ça, comme si elle pouvait aller de l’avant - tant qu’ils n’avaient rien commencé, y’avait pas mort d’homme, hein? Pourtant, homme ou femme, rendez-vous romantique organisé par le biais de MatchMaker, ou ‘genre de’ rencontre amicale, Tessa avait toujours eu Aodren, quelque-part dans sa tête. Dans les pires cas, elle l’avait même harcelé de messages, comme il le faisait lui dans ses pires cas à lui; mais bien souvent, elle avait dû se faire bataille pour n’pas dire des choses trop directes, trop honnêtes au jeune homme, dès lors qu’ils se retrouvaient à la maison, rien que tous les deux, après un rencard particulièrement éprouvant pour ses nerfs. C’était comme si elle s’était forcée à au moins être un peu mature pour lui, parce que s’il avait voulu quelque-chose avec elle, il l’aurait su, et il aurait sans doute essayé quelque-chose. Ou lancé un signe, ou fait quelque-chose, n’importe quoi, qui aurait permis à la blonde de s’poser des questions. Peut-être que, techniquement, aux yeux de beaucoup, accepter des genres de batifolages pour se remonter le moral, aurait tout pour être un signe aux yeux de beaucoup de gens; mais techniquement, ni pour Aodren, ni pour elle, le sexe n’était synonyme de sentiments amoureux. Elle était parfois rentrée avec des hommes ou des femmes qui n’avaient été que ça, des aventures. Et il en avait fait de même, parfois, comme pour entrer en brusque opposition avec le long mariage dans lequel il s’était retenu de toutes ces choses, pour Gina, pour leur fils, et parce qu’il en avait eu envie. Parfois, Tessa avait essayé de s’plonger dans l’esprit de son meilleur ami, pour essayer d’comprendre, comme si ça pouvait l’aider à décrypter les sentiments qu’il avait pour elle - de l’amitié, juste de l’amitié, évidemment - et tout ce qu’elle avait retiré de ça, c’était que dix ans, c’était long, très long. Ajoutés à ces années, un mariage et un bébé, et c’était la totale; forcément qu’à la fin, la Dyer s’était persuadée qu’elle n’faisait pas le poids, et que c’était presque ‘normal’, au fond, qu’Aodren, il n’ait pas envie de tenter une grande aventure avec qui que ce soit. Surtout avec quelqu’un comme elle; Tessa, elle n’était pas sérieuse et mature, posée et paisible comme pouvait l’être une vie bien carrée avec une famille, un boulot, et des rêves de bonheur. Tessa, mine de rien, elle n’rêvait pas beaucoup; le présent était déjà assez prenant comme ça.

Quelle drôle de façon de voir les choses, parce que franchement, elle n’était pas cynique pour autant; difficile de l’être, quand elle avait ces allures-là, dans les bras d’Aodren, tout sourire, et des étoiles plein les yeux, facilement séduite par toutes les promesses qui se profilaient à l’horizon, entre lui et elle. Au moins juste ça; les promesses à l’horizon, c’n’était pas de vastes rêves qui s’étendaient sur dix ans, pas même des perspectives qui allaient aussi loin que l’année prochaine. Evidemment, elle n’les programmait pas à échouer pour autant, mais Tessa, elle préférait déjà voir comment se passerait ce soir; et demain, et après-demain. Les fameux samedi, dimanche et lundi dont elle avait parlé, ceux dont il s’était tant moqué, lui. Non, ça, ç’avait toujours évident, au moins, malgré les battements frénétiques et sincères et réels de son coeur, à Tessa; elle n’voulait pas de grande promesse, d’engagement qui parlait des choses qu’ils pourraient faire pour le restant de leur jour - ça lui faisait peur, ça, à la blonde. C’était ici et maintenant qu’elle aimait Aodren - ou qu’elle essayait surtout de comprendre ses sentiments, qu’elle avait vraiment envie de l’faire, vraiment envie d’essayer, vraiment envie d’voir - et peut-être que s’ils étaient chanceux, ce serait pour toujours. Peut-être que non- peut-être que rien n’serait aussi facile qu’ils n’pourraient le vouloir, l’envisager ou y penser. Trois ans plus tôt, ils n’auraient jamais pu prévoir qu’ils vivraient encore sous le même toit, et que ça n’aurait fait que les rapprocher; peut-être Aodren en ce temps, il s’était même dit qu’un jour, il réussirait à rallumer la flamme avec Gina. En ouvrant sa porte au jeune homme, Tessa n’avait pas eu l’intention de compter le temps qui passait, ou de le pousser à faire quoique ce soit qu’il n’voulait pas; elle l’avait juste fait, sur le moment - sans réfléchir aux conséquences, diraient certains, comme si elle était juste immature et stupide. Non, elle n’avait pas réfléchi aux conséquences, elle n’avait pas réfléchi au lendemain de ce soir-là, et elle n’avait probablement même pas réfléchi au lendemain de la soirée quand elle lui avait proposé de le ‘consoler’ à sa façon. C’était du Tessa tout craché ça, et il semblait bien qu’il n’y avait qu’Aodren pour s’y faire. « C’est sûr qu’y’avait de grandes chances pour que tu t’imposes, dans mon appart’ de célibataire, trop grand pour moi. » encore un petit sarcasme, imprimé d’un sourire sur le visage de la blonde; elle ne se moquait pas particulièrement, là, elle se plaisait surtout à ressasser cette part de leur histoire. Il était resté chez elle sans qu’ils n’en aient vraiment parlé, ç’avait juste été ça, et lui créchant chez elle le temps de se remettre sur pieds, était progressivement devenu une colocation, sans pour autant qu’ils ne s’asseyent à une table, face à face, pour en parler comme il l’aurait fallu. Peut-être était-ce aussi cette mascarade qu’ils avaient commencé à avoir, à plus ou moins coucher ensemble, à vivre ensemble, à tant penser l’un à l’autre, sans pour autant s’dire qu’ils étaient en couple. Quels idiots, franchement. « Ouais... ça me convenait. » qu’elle dit simplement, Tessa, dans un haussement d’épaules, pour répondre à la réplique du jeune homme. Ça lui avait convenu, et peut-être même plus encore, semblait en indiquer l’air songeur sur son visage; y’avait eu des soirées où tout était allé mal, et qu’elle aurait bien plus mal vécu, si Aodren n’avait pas été dans les parages pour lui remonter le moral. Elle n’aurait jamais été capable de gérer ces trois chatons par elle-même, rien qu’à cause de son travail pour commencer; elle n’y avait pas particulièrement pensé, à l’époque de se proposer pour les récupérer, mais quand même, elle n’aurait que moyennement apprécié le fait d’un jour rentrer pour les voir tous morts de faim ou de froid, ou de n’importe quoi d’autre. Maintenant, ces petits chats étaient tirés d’affaire, et c’n’était pas un job qu’elle avait accompli toute seule; alors peut-être bien qu’Aodren aussi, il aurait son mot à dire sur les prénoms des deux chats restants. S’il donnait des idées. « Bien sûr qu’on sera sévères. Et on les éduquera bien. » à en croire le rire qu’ils partagèrent, il était plus qu’évident qu’eux-mêmes n’y croyaient pas. Si Aodren était un genre de ‘mauvais maître’ pour chien, laxiste et permissif, Tessa n’était pas beaucoup mieux. Au contraire, elle était plus souvent là pour les câlins que pour quoique ce soit d’autre. Ils allaient se faire bouffer par leurs multitudes d’animaux, et ils n’auraient que ce qu’ils mériteraient. Peut-être que s’ils partageaient un lit, maintenant, ils allaient devoir apprendre à toutes ces bestioles à les laisser tranquilles; après tout, pour beaucoup de choses, elle préférait s’imaginer faire tout ça, avec lui, loin des regards. Même des regards de leurs bébés chats ou de Leia. Heureusement, les chambres avaient des portes, tiens. « Tu veux te les couper, tes cheveux, ah bon? » demanda-t-elle, vraiment curieuse, alors que ses doigts étaient encore logés dans ceux-ci, caressant quelques mèches comme si elle essayait de remettre de l’ordre dans sa tignasse. Mission impossible; peut-être alors que c’était plus facile quand il en avait des couches moins épaisses, ouais. « Mh, j’en sais rien, si j’te savonne, pendant qu’tu me savonnes, ça peut toujours faire gagner quelques secondes. » impossible encore une fois, elle le savait bien, Tessa, et après tout, c’n’était pas une vraie question qu’elle soulevait, plutôt une petite tentative à se faire charmeuse, avec ses grands yeux bleus, son sourire mutin et sa main autrefois dans les cheveux du brun, qui descendit vers sa nuque, sur son torse. Voilà qu’en fait, ça s’avérait être bien facile, que d’avoir des envies, des fantasmes, des-... désirs, quand il était question d’Aodren.

Quand elle avait emménagé à New York, il avait été impossible pour Tessa de même penser à avoir une colocation, avec qui que ce soit; garçon ou fille, ç’avait été un truc auquel ses parents avaient été particulièrement récalcitrants. Après tout, ils avaient découvert quelques années plus tôt, que même les jeunes hommes clean et de bonne famille, bien blancs et bien polis en apparences, pouvaient se révéler être des enflures, au-delà de ce qu’ils offraient à la vue du monde. Ironiquement, la Dyer, elle, elle avait toujours été persuadée d’au moins savoir ça; peut-être n’avait-elle fait que s’prétendre à elle-même, être un tant soit peu ‘éduquée’ sur la nature humaine, quand en définitive, elle était juste une blonde, un peu immature, papillonnant des yeux et des tripes dès que les choses allaient bien. Et puis, peut-être qu’à l’époque même, elle n’en avait même pas voulu, de colocataire; ça n’lui avait jamais traversé l’esprit à vrai dire, et après l’omniprésence de ses parents, être livrée seule à elle-même avait été un brutal changement, auquel elle s’était bien mieux accommodée que ce que les gens autour d’elle auraient pu croire. New York, ç’avait été le début de la liberté, la vraie; pas au tout début, certes, parce que c’était impossible d’être une ‘provinciale’, débarquant dans une ville comme la Grosse Pomme, et d’être capable de s’y fondre tout de suite, de s’faire au rythme frénétique de cette ville de fou, et de vivre en harmonie avec l’état d’esprit des gens qui se trouvaient là. Mais elle avait plus ou moins réussi à s’faire une vie par elle-même, ici; au fur et à mesure, elle avait rencontré des gens, elle avait sympathisé avec ces mêmes gens, elle s’était même révélée à elle-même. Mais même à travers ses histoires d’amour plus ou moins longues, plus ou moins intenses et inconsidérées, Tessa n’s’était jamais imaginée faire ses cartons ou déplacer ses vêtements, redéfinir son mode de vie pour qui que ce soit d’autre. Encore trois ans plus tôt, quand elle avait ouvert sa porte à Aodren, elle avait eu beau le faire de la façon la plus sympa, altruiste et désintéressée, Tessa n’l’avait pas joyeusement attendu avec un deal pour qu’ils deviennent colocataires, et vivent ensemble sous ce même toit. En toute logique, il aurait dû chercher un appartement rien que pour lui, bien assez vite; à vingt-neuf ans, qui pouvait subitement vouloir se mettre à vivre en colocation, après un mariage et la naissance d’un enfant? Non, évidemment que ç’avait semblé net et précis, qu’eux deux, ça n’avait été une solution que temporaire. Un sentiment qui avait toujours porté la légèreté de Tessa, sa patience, sa sympathie, sa compassion; et peut-être qu’au fond, ç’avait été pour ça qu’ils avaient si bien fonctionné, et que l’Adkins n’était jamais parti. Parce qu’à sa façon, quand bien même ils avaient vécu tous les deux sous le même toit, dans les mêmes quelques dizaines de mètres carrés un peu limités, en plein Manhattan, la blonde n’avait jamais essayé de forcer quoique ce soit - elle n’l’avait jamais forcé à lui parler, à passer à autre chose dans sa vie, à ‘prendre sa vie en mains’ comme si elle avait quelque conseil à donner de ce point de vue là. Ils avaient suivi leur vie, comme un long fleuve tranquille, un courant paisible par lequel ils s’étaient laissés porter, tous les deux. Au final, ils en arrivaient là - Tessa, elle était bien incapable de se souvenir de quand est-ce qu’Aodren avait commencé à payer le loyer pour cet appartement; il y avait bien dû y avoir de nombreuses fois, au début, où elle lui avait dit que c’n’était pas la peine, qu’il pouvait consacrer son argent à autre chose, qu’elle n’en avait pas besoin. Ç’avait été ses parents qui avaient payé son loyer, alors pourquoi chercher plus loin? Et puis, progressivement, comme ça, son appartement à elle, était devenu leur appartement à eux; officiellement, c’n’était pas une colocation, sur aucun des papiers qu’elle possédait, la blonde, mais ils vivaient très bien comme ça, depuis bientôt trois ans désormais.

Tessa, elle pourrait jurer qu’il était le seul à pouvoir gérer toutes les lubies qu’elle avait, comme le délire soudain et spontané de ramener trois chatons à la maison, histoire qu’ils bouffent bien le temps et l’attention. Au moins, elle ‘remboursait’ sa bonne volonté, à Aodren, avec de nombreux efforts à elle; pour commencer, elle n’avait pas rechigné à ce qu’il ramène son petit bout de chien, quand il avait débarqué, avec toutes ses valises. Ça n’lui était même pas venu à l’esprit, à Tessa - pourtant, elle ne s’pensait pas particulièrement amoureuse des animaux, concernée par la cause des boules de poil et ainsi de suite. Mais Leia, elle avait été mignonne et attachante et sage - elle avait fait partie du ‘package’ d’Aodren, et c’n’était pas comme si elle allait demander à son meilleur ami de s’débarrasser de son clébard avant de pouvoir rentrer chez elle. Non, elle n’était pas maniaque comme ses parents, finalement, la Dyer. « Marre de toi? Ou peut-être que ce serait toi qui aurais pu en avoir marre de moi. » toujours avec son sourire, Tessa haussa les épaules, parce que ça pouvait être aussi évident que ça, d’en avoir marre de Tessa. Y’avait bien des relations amoureuses à elle qui s’étaient terminées pour ces raisons précises, parce qu’un beau jour, l’autre en avait ‘marre’ de Tessa, de c’qu’elle était ou de c’qu’elle faisait de sa vie. Y’avait toujours quelqu’un pour critiquer, mais le brun, lui, il n’avait jamais fait partie de cette tranche de la population, et quoiqu’il se passe, la jeune femme n’s’était jamais imaginée qu’il la haïssait en secret, n’la supportait plus sans le dire, et qu’il n’avait de cesse de penser des choses négatives d’elle, dans sa tête. Pas des choses négatives, non, mais ça n’voulait pour autant pas dire qu’il avait pu développer pour elle, le genre de sentiments qu’elle avait pu développer pour lui: combien de fois est-c’qu’elle s’était répétée ça, Tessa, comme si elle pouvait s’ramener elle-même sur terre, se raisonner à n’pas faire quelque-chose de stupide, qu’elle regretterait forcément? Et maintenant, déjà, elle ne se souvenait même plus de ce qu’elle avait pu se dire, se répéter et se balancer dans la tronche pour rester les pieds sur terre, et n’pas s’emporter dès que son coeur s’affolait. C’était trop tard, désormais, elle était une cause totalement perdue, qui n’voulait plus qu’Aodren s’en aille, parce qu’il était son colocataire depuis trop longtemps, et son meilleur ami aussi, et techniquement, il semblait maintenant, son petit-ami en plus du reste. Peut-être que ça lui donnait l’droit d’avoir à redire sur l’apparence des cheveux du jeune homme, probablement pas non, quand bien même elle se laissa aller à rigoler, à l’idée qu’il aille se les couper. Non pas que ce soit quelque-chose qu’il n’faisait jamais, bien sûr, mais parce que soudainement, lui venait en tête, l’image d’un Aodren qui passait des heures devant la glace à haïr l’aspect de sa chevelure. Elle, elle n’avait rien à critiquer - peut-être que c’était l’amour - l’amour? - qui rendait aveugle, tiens. « Hm, t’en fais pas, c’est pas encore désastreux. » elle l’encouragea alors, au moins; il n’avait pas de poux, et elle n’avait pas peur de glisser ses doigts dans ces mèches brunes, alors au-delà de ça, il faisait bien ce qu’il voulait. Tant qu’il n’lui demandait pas des choses impossibles, comme lui couper les cheveux pendant qu’ils partageraient une douche ensemble; de un, les cheveux dans le siphon, non merci et de deux, ce serait hormonalement impossible à réaliser. Il semblait être de cet avis, heureusement; mais surtout, rien qu’avec la savonnette - une idée particulièrement flatteuse, qui fit sourire Tessa d’un air mutin, malin, charmeur, alors qu’elle se redressait légèrement sur elle-même, pour être plus proche d’Aodren. « Ah ouais? Et ce sera quoi ta première envie, alors? » son autre main rejoignant la deuxième sur le torse d’Aodren, Tessa lui fit face, se mordillant doucement la lèvre, en l’image idéale d’une séductrice, à la voix suave, au regard rieur. Ils étaient dans un parc, certes, mais depuis un moment maintenant, ils étaient tous les deux, dans leur petit monde, sur leur couverture, alors il pouvait bien lui dire, hein?

Combien de fois est-c’que les envies de Tessa, ses désirs et ses songes, étaient allés plus loin que la réalité, entre Aodren et elle? Parfois, alors juste qu’ils reprenaient leurs souffles, juste après qu’il l’ait faite jouir, elle avait eu envie de le supplier de continuer - de n’pas s’arrêter n’surtout pas s’arrêter; et de l’embrasser, peut-être aussi, parce que ç’aurait été doux et réconfortant, et idéal comme toute l’imagination qu’elle avait développée, autour de ces fameux baisers interdits. Elle n’en avait jamais dit le moindre mot, et la blonde avait fini par s’persuader qu’elle était la fille la plus brave et la plus loyale qui soit, rien que pour ça. Et pourtant, techniquement, il n’y avait rien eu d’autre pour la retenir que la peur; peut-être la peur que tout se concrétise tout autant que la peur que rien n’se concrétise, parce qu’ils n’étaient pas sur la même longueur d’ondes, qu’Aodren faisait ces choses en ‘ami’, pour prendre son pied, pour qu’elle prenne son pied, comme ç’avait semblé être le deal au tout début. Non, la blonde n’avait pas eu envie de forcer son ami à quoique ce soit - elle n’l’avait pas forcé à enlever son pantalon et accepter qu’elle le suce la première fois; mais ça allait au-delà de ça. Elle n’avait pas voulu qu’il se sente obligé d’lui retourner des sentiments, des attentions qu’il n’avait pas forcément eu envie de lui donner. A elle, ou peut-être à d’autres filles aussi, parce qu’il n’était pas prêt, parce qu’il n’en avait pas envie, ou pour quelque autre raison que ce soit. Parfois, ç’avait été compliqué de le comprendre, Aodren, fallait dire; il allait tantôt à des rendez-vous MatchMaker, et il revenait déçu de ceux-ci, sans avoir vraiment essayé quoique ce soit. Peut-être que si elle avait été capable d’un tant soit peu d’auto-critique, la Dyer aurait pu remarquer qu’elle avait suivi l’exact même chemin de faits et gestes, larguant toutes ses tentatives à peine étaient-elles né. Heureusement, elle n’était pas tombée aussi bas au point d’prétendre qu’un rencard s’était mal passé, juste pour que le jeune homme s’occupe d’elle; non, les fois où il s’était senti le besoin de la ‘consoler’, les fois où elle s’était sentie en avoir vraiment besoin, en avoir vraiment envie, ç’avait été les fois vraiment désastreuses. Pour le reste, l’histoire dirait sans doute que c’était Tessa elle-même qui avait tout planté d’avance, rien que pour ne pas se compliquer la vie. D’ici peu, ils auraient découvert que MatchMaker les déclarait amoureux de l’année, tant Aodren et elle avaient passé du temps à s’envoyer des messages privés par le biais du site, comme s’ils n’pouvaient pas se parler en direct, ni même avoir le numéro de l’autre. Ç’avait été complètement stupide, et pourtant, ça l’avait faite sourire à chaque fois. L’ironie voulait que s’il avait vraiment été un inconnu sur ce site, si vraiment elle avait craqué sur lui par ce biais-là, elle aurait foncé sans beaucoup d’hésitation, parce que c’était ce qu’elle avait eu l’habitude de faire, au moins par derrière un écran, à appréhender si facilement les autres. Mais pendant bien longtemps, elle n’avait rien dit, rien fait, préférant maudire toutes ces filles sans nom et sans visage avec lesquelles Aodren était sorti, par le biais de ce foutu site stupide, et elle avait poussé le vice jusqu’à être contente, soulagée, faussement désolée parfois, même, quand Aodren était rentré seul, parce que finalement, ce fameux rencard avec cette fameuse inconnue, n’avait mené à rien de concret.

Peut-être était-ce hypocrite, cruel et méchant; Tessa, elle n’avait jamais réussi à se remettre en question à ce niveau-là, parce qu’elle n’avait jamais réussi à faire autrement que ressentir c’qu’elle ressentait. Ça n’avait pas été faute d’essayer, de s’persuader de choses complètement débiles et cyniques, des arguments qu’aurait sortis une femme comme sa mère, par exemple. Et sans doute que l’histoire n’aurait fait que s’aggraver, plonger de plus en plus profondément dans les affres du désespérant, s’ils n’avaient rien dit aujourd’hui. Qui sait, avec ce qu’elle avait interprété des choses, Tessa, elle aurait essayé de rebondir tant bien que mal, en piochant le premier rencard qui lui serait passé sous la main, par le biais de MatchMaker ou sur cette herbe bien verte de Central Park. Et elle s’y serait jetée à corps perdu, à mille pour cent, quitte à finir dans le lit de cet ou cette inconnu(e), pour mieux s’maudire juste après. De là, y’avait pas à prétendre, leur colocation aurait tourné à la catastrophe, Aodren l’aurait détestée, ou peut-être prise pour une fille qu’elle n’était pas, la méchante meilleure amie qui avait bien compris ses signes - elle n’les avait pas compris, définitivement - et qui avait choisi d’aller prendre quelqu’un d’autre au détour de la première rencontre hasardeuse, pour lui prouver qu’elle n’ressentait pas la même chose. Leur histoire aurait vraiment tourné à la mascarade désespérante, et peut-être que même là, leur colocation, leur amitié, toutes ces choses si solides entre eux, n’auraient pas tenu. Quelle ironie, quand ç’avait justement été pour ça qu’elle s’était si souvent retenue, persuadée que c’était pour le mieux, comme ça. « Hm, ouais bah voilà, c’que tu dis là est la preuve que t’es bien le seul à m’supporter. » elle ricana, alors, pour se soulager elle-même, chasser ses doutes démoniaques pour revenir à la réalité, cette réalité si difficile à croire tant tout allait bien. Ils avaient été tant obnubilés par les scénarios catastrophes, que c’était comme s’ils ne savaient qu’à peine quoi faire de la réalité, pas si terrible que ça, pas si cauchemardesque qu’ils ne l’auraient imaginé. Non, les voilà en train de s’dire et d’se promettre des choses bien plus grandes qu’eux; il n’pourrait jamais en avoir marre d’elle, qu’il disait, lui, Aodren - elle aimait c’genre de promesse, au point d’en sourire d’un air niais, encore maintenant que la phrase ne restait qu’un suspens de mots desquels ils avaient déjà avancé. Fallait bien évidemment quelqu’un de prêt à la supporter jusqu’au bout, pour avoir des sentiments un tant soit peu amoureux à son égard. Beaucoup de gens avaient cru qu’ils la supporteraient, aussi, mais finalement, elle était célibataire. Aodren, au moins, il était le premier qu’elle croyait vraiment; au bout de dix ans à s’côtoyer, à la ‘supporter’, il était toujours là, après tout. Et avait-il quoique ce soit à regretter, hein? C’n’était pas tout le monde, quand même, qui pouvait avoir Tessa en tant que colocataire; Tessa, la seule colocataire de l’univers qui proposait de consoler les autres à coups de batifolages et de préliminaires. Et dans le cas d’Aodren, sûrement plus même; évidemment plus, maintenant, elle se sentait en avoir envie, vraiment envie. Ces songes si puissants battant dans ses veines n’étaient jamais partis, ils l’avaient suivie, et rattrapée parfois, dans les moments les plus incongrus, comme quand par exemple elle était rentrée des courses avec une boite de préservatifs, et qu’il avait été dans les parages. Désormais, ils étaient là... en couple, de toute évidence. A parler de douche. C’était elle qui avait amené le sujet, le moins discrètement du monde possible, et pourtant, elle ne l’regrettait absolument pas; maintenant, elle n’allait pas se défiler, ou se faire timide, ou s’laisser rattraper par sa conscience. Elle n’avait pas besoin de s’empêcher de le supplier de continuer; elle n’avait pas besoin de retenir ses frissons, la chair de poule glissant sur sa cuisse sous le contact de la main du brun. Elle n’avait pas besoin, de s’demander si ses yeux pétillaient à ce point, si son sourire était aussi fou que douloureux à ses zygomatiques. « C’est vrai, m’embrasser partout prendrait du temps. » elle admit, avec un dernier rire presque innocent et enfantin, avant de passer ses deux bras autour de la nuque du jeune homme, se pressant contre lui, leurs bassins flirtant bien dangereusement l’un avec l’autre, malgré les apparences. « Et-... si j’t’embrasse partout aussi, ça prendra le double du temps. » c’était un miracle, qu’elle réussisse à terminer cette phrase, alors même que sous les lippes accrochées à son cou, Tessa sentait son pouls traitre s’accélérer, son souffle s’emporter. Pourquoi est-c’qu’ils étaient venus jusque-là, déjà? Elle n’savait plus, elle n’savait plus rien - définitivement, le sang qui battait dans ses veines, il n’allait plus vers son cerveau, là.

Dès le moment où Aodren avait passé la porte de son appartement, pour venir vivre sous son toit avec elle, Tessa avait eu un objectif bien précis en tête. Elle avait eu envie d’au moins rendre le jeune homme heureux - jusqu’à un certain point, jusqu’à la limite qui pouvait être délimitée par la relation qu’ils avaient; d’amis, et puis de meilleurs amis, avec le temps. Ça n’avait jamais été un fardeau, ça n’avait jamais été quelque-chose de difficile pour elle: souvent pourtant, la blonde avait été persuadée qu’elle n’était pas à la hauteur de la tâche, quand tout ce qu’elle pouvait faire, c’était l’entourer de ses bras, poser sa tête contre l’épaule du jeune homme, et le laisser vider son sac, sous quelque forme d’émotion que ce soit. Évidemment qu’elle n’avait jamais eu de conseil idéal sur comment gérer la disparition d’un enfant; sa famille n’avait guère connu de drame particulier, et le seul qu’ils avaient vraiment essuyé, avait été à mille kilomètres de tout ce qu’Aodren et sa femme avaient pu endurer. Tout ce que la Dyer avait voulu à la fin, ç’avait été au moins que l’histoire se souvienne qu’elle avait essayé; qu’elle avait été là pour lui aussi souvent qu’il l’avait voulu, ou en avait eu envie, qu’elle n’avait jamais manqué d’effort, ou même de créativité, pour au moins rendre le quotidien difficile du brun, un peu moins insupportable. Elle avait bien dû faire quelques choses bien, pour qu’ils s’retrouvent là où ils étaient, trois ans plus tard; ils vivaient toujours ensemble sous le même toit, et il semblait même qu’Aodren, il s’était pris d’amour avec le fait d’avoir Tessa dans sa vie. Trois ans plus tôt, elle n’avait certainement pas imaginé quoique ce soit de tout ça; oui, elle s’était dit qu’il aurait tôt fait de plier bagages vers un autre appartement, un coin à lui où il pourrait vivre de son côté, sans personne pour l’emmerder, et peut-être même sans qui que ce soit, pour envahir ses instants solitaires, à ressasser ses peines. Il avait semblé qu’il avait toujours eu besoin et envie qu’elle soit là, quand elle s’arrêtait, qu’elle se posait avec lui, et qu’ils parlaient. Tessa, elle n’avait jamais eu la prétention d’être experte en quoique ce soit, d’offrir des bons conseils ou d’avoir toujours le mot idéal pour remonter le moral des autres; mais sa qualité, c’était qu’elle essayait toujours. Et elle avait essayé avec l’Adkins; jamais elle n’l’avait jugé, et jamais elle ne l’ferait. Au fond, elle n’savait elle-même pas ce qu’elle ferait, si elle devait perdre son enfant - ce dont elle était sûre, c’était qu’égoïstement, elle aussi, elle avait parfois eu besoin de moments où elle oubliait que James avait disparu, pendant les premiers mois. Oh, elle les avait eus, ces espoirs ardents, pendant les premières vingt-quatre heures, les premières quarante-huit ans. La semaine, le mois, l’année; au bout d’un moment, si les gens disparaissaient, c’était parce qu’on arrêtait d’les chercher, et non pas parce qu’ils avaient été aspirés par un trou noir d’inexistence qui les aurait complètement oblitérés de ce monde. Mais l’évidence avait été là, partout; le monde avait continué d’avancer, même sans James dans leur quotidien. Sûrement que ç’avait été plus facile pour Tessa, une des gentilles filles qui avaient toujours fait partie de la vie de James pour le gâter, pour être sympa avec lui et céder à ses caprices, plus que pour ses parents. Les peines qu’Aodren éprouvait, il pouvait au moins être sûr qu’elle les ressentait aussi, elle; jusqu’à un certain degré, d’une certaine autre façon, et non pas parce que son frère avait à une époque atterri en prison, à cause de crimes qu’il avait commis. Non; parce qu’elle l’avait aimé, James, elle aussi. Elle avait été parmi les premières personnes à l’hôpital quand il était né, elle avait pris des tonnes de photos, elle avait fait grimace sur grimace à ce petit bébé. Aodren et elle, ils n’s’étaient pas connus depuis longtemps, à l’époque, mais ça n’l’avait jamais empêchée d’être excitée à l’idée que son ami devienne père.

Évidemment, alors, elle avait toujours eu plus de peine pour lui qu’pour elle-même; elle n’savait pas ce qu’il endurait, elle n’pourrait jamais prétendre savoir - et elle n’voudrait jamais savoir, égoïstement. Pourtant, si elle devait devenir mère demain, elle n’pourrait pas prétendre être un meilleur parent qu’Aodren n’l’avait été. Ou Gina. C’était ça l’injustice du monde; y’avait des parents horribles, cruels et abusifs avec leurs enfants, qui les avaient eux. Elle savait que c’était injuste, Tessa. Et pourtant, si James était toujours là, est-ce qu’eux deux, ils seraient dans Central Park, ensemble, aujourd’hui? Est-ce que le brun aurait érigé de tels sentiments à son égard, quitte même à les lui confier, maintenant? Est-ce qu’ils seraient encore sur la même longueur d’ondes, ou est-c’que la blonde fêtarde et spontanée aurait fini par être un ‘encombrement’ dans la vie bien rangée de l’Adkins et de sa petite famille? C’était curieux, cruel presque, la façon dont l’existence se faisait, parfois contre le gré d’une personne - elle espérait quand même qu’ici et maintenant, même pour Aodren, la destination où ils se trouvaient, juste là, était plaisante et délicieuse. Peut-être, pas au point d’en valoir tout ce qui s’était passé dans sa vie, toutes les choses malheureuses desquelles il avait dû se relever, toutes les peines qui avaient débordé sur sa famille. Mais au moins, un rayon de soleil après tout ça. C’était c’qu’elle voulait être, Tessa; elle n’voulait être rien d’autre que ça - elle n’voulait certainement pas se sentir être la présence forcée, le secours désespéré, ou la blonde tenace qui avait réussi à forcer son chemin jusqu’au coeur du brun. Était-elle comme ça? Ça faisait des semaines, des mois même, qu’elle restait muette sur ses sentiments, persuadée que tous les ‘signes’ qu’Aodren envoyait au monde, valaient pour elle aussi; persuadée qu’en restant sur le banc de touche, elle permettrait au moins au jeune homme de reprendre sa vie en mains, avec la bonne personne. Celle qu’il voulait. Gina, sans doute, s’était-elle dit - la brune avait été sa femme pendant de nombreuses années, la première demoiselle qu’il avait aimée assez fort pour la demander en mariage, et embrasser totalement le futur bien net qu’ils avaient semblé avoir, quand elle était tombée enceinte, qu’elle avait passé cette robe blanche, et qu’ils s’étaient promis de s’aimer pour toujours. Tessa, elle était loin de tout ça, elle. Dans toutes ses histoires d’amour, elle l’avait constamment été - ce sérieux qu’elle admirait tant chez les autres, la blonde, elle semblait juger facilement que c’n’était pas pour elle. Pas maintenant. Ouais, même à vingt-sept ans, alors qu’elle faisait mine de souffrir du temps qui passait, et des choses qui n’se concrétisaient pas dans sa vie. Heureusement, avec Aodren, tous les deux, ils venaient de s’accorder sur le fait de n’pas presser les choses. Mais s’il continuait de parler comme il le faisait là; s’il continuait d’lui dire toutes ces répliques, qui faisaient s’affoler son coeur dans son poitrail, elle n’donnait pas cher de sa peau, Tessa. Tant pis pour les autres, ouais; tout ce que la Dyer put faire, c’est sourire, d’un air si niais que c’en était ridicule. Comme si on venait de lui dire la plus belle et la plus évidente chose qui soit - c’n’était pas tous les jours, après tout, que quelqu’un semblait si sûr de la vouloir elle. Mais Aodren, il avait l’air sûr de son coup. Et il la faisait déjà frissonner comme ça, la pauvre de Tessa, au pouls battant comme un furieux, juste après quelques efforts à peine - se concentrer pour avoir assez de verve et répondre à c’qu’il disait, était presque un effort surhumain, en cet instant. Pourtant, elle n’faisait pas abstinence de sexe depuis des siècles, on l’avait déjà embrassée dans le cou, on avait déjà baladé ses mains sur son corps - mais là, là, c’était autre chose. Elle n’s’était même pas rendue compte, Tessa, que ses deux mains étaient venues agripper les mèches noires du jeune homme, parce qu’elle cherchait si désespérément à se tenir à quelque-chose, n’importe quoi pour n’pas complètement perdre la boule. Une cause perdue, inévitablement; qu’ils prennent du temps, perdent du temps - maintenant, la blonde était incapable de se projeter aussi loin que sa prochaine douche, qui serait pourtant tant bienvenue. « Hm. » elle se retrouva à lâcher, à bout de souffle, en première réponse à ses paroles; il lui faisait comprendre d’enlever son tee-shirt, ici et maintenant, avec tous ces papillons faisant vibrer le creux de son ventre, annihilant toute pensée logique. « Ah ouais? T’as vu d’autres filles en soutif? » parvint-elle quand même à ricaner, « Y’a quelque-chose que t’as aimé, en particulier? » comme si elle jouait déjà la petite amie jalouse, malgré son haussement de sourcil malicieux. Elle ne put prétendre résister bien plus longtemps, sans pouvoir se souvenir pourtant, si elle l’avait déjà fait, pour la Pride ou pour quoique ce soit d’autre; en soulevant ses bras, elle emporta son tee-shirt, dans un geste fluide et gracieux, au moins. Elle, elle était en soutien-gorge, sans l’ombre d’un doute, elle le réalisait tout juste, alors qu’elle sentait ses mèches blondes tomber sur son dos, caresser ses épaules ou son buste. C’était trop tard maintenant, mais il semblait bien encore que personne d’autre qu’Aodren n’avait remarqué ça, et Tessa en profita pour se rapprocher encore plus de lui, se lover contre son corps fort et musclé, comme si elle pouvait être à l’abris comme ça, enroulant ses deux bras autour de son torse, jusque dans son dos.