Probablement que dès lundi, quand elle repenserait à ce week-end, Tessa ne pourrait s’empêcher de sourire comme une idiote, en se rappelant au combien tout avait été parfait. Ça n’avait pas été juste un bon week-end, un break bien mérité et agréable des semaines si capricieuses et imprévisibles. Il n’y avait même pas eu d’événements particuliers, fou et incroyable pour les amener ensemble, Aodren et elle. La blonde n’avait pas parlé de la Gay Pride à ses collègues en sautant de joie, hurlant sur tous les toits qu’elle s’y rendrait pour se faire peindre sur le visage, des drapeaux à l’effigie de sa bisexualité. Ç’avait été un événement qu’elle avait beaucoup attendu, pour elle-même et par elle-même ; Aodren aurait pu lui dire qu’il n’avait pas envie de s’y rendre, qu’elle y serait allée toute seule. Ils n’étaient pas passés bien loin, alors, du week-end terriblement normal, commun à leur relation et leur colocation : en soit, même en s’y rendant, ils n’avaient pas bouleversé le cours de leur samedi : ils auraient pu en revenir quelques heures plus tard, comme si de rien n’était, le ventre rempli de churros et de bière. Ç’aurait été une bonne journée ensoleillée, qu’ils auraient passée à lambiner comme deux personnes qui ne se préoccupaient absolument pas de la semaine qui recommencerait bien assez tôt : mais dans le commun d’un jour comme les autres, ils s’étaient découverts une réalité toute nouvelle. Certains diraient que ça leur planait au-dessus du crâne depuis un moment, à tous les deux ; que ça flottait dans l’air, que ça vibrait avec les atomes de l’espace qu’ils partageaient quand ils étaient dans une même pièce. Mais pour ce que ça valait, Tessa, elle, était prête à admettre qu’elle n’avait rien vu venir – pas comme ça, pas aussi aisément et aussi naturellement. Elle n’avait pas vu Aodren faire un pas en avant vers elle, parce qu’elle n’avait tout simplement pas imaginé qu’il pourrait en avoir le désir. Et si déjà elle avait eu l’impression vendredi soir que le week-end passerait trop vite, maintenant il ne pouvait que passer trop vite. Peut-être alors, qu’elle allait vraiment y penser à prendre ces fameuses vacances avec le brun : est-c’que ça changerait quoique ce soit à leur situation ? La plupart des couples, quand ils craignaient de partir en voyage ensemble, c’était de peur de se retrouver vingt-quatre heures sur vingt-quatre l’un avec l’autre, à vivre ensemble, à devoir fonctionner à deux, à devoir s’adapter à un mode de fonctionnement tout à fait différent. Rien n’était différent là-dedans entre eux deux, et maintenant, les seules inquiétudes qu’avait pu avoir la blonde, à savoir comment tenir sa langue sur les plages ensoleillées où toutes les filles pourraient reluquer Aodren, ou dans la voiture qu’ils partageraient pendant des heures et des heures de route, n’avaient plus lieu d’être. Non, elle était sa petite-amie désormais, hein ? Est-ce que ça lui donnait le droit d’être jalouse au moindre tournant, à sortir les griffes dès qu’une inconnue laisserait trainer ses yeux en direction du jeune homme, torse nu, au bord de la mer ? Elle n’avait jamais été particulièrement jalouse, la Dyer, mais fallait bien admettre qu’elle n’avait aussi, pas été en vacances depuis des lustres. Ni avec ses amoureux, ni avec juste des amis – pour aussi fun qu’elle était, Tessa avait presque zappé de son vocabulaire le mot ‘vacances’.

Désormais, juste un week-end pour passer du temps avec son petit-ami, c’n’était pas assez, clairement. Ce n’serait pas assez maintenant, alors qu’elle n’avait absolument pas envie de bouger de ce lit, quand bien même elle avait pu prétendre le contraire quelques minutes plus tôt, rien que pour le provoquer un p’tit peu. Elle s’admirerait, ou se détesterait, si elle trouvait en elle-même le courage de préférer des épinards moisis dans leur frigo, à la compagnie du jeune homme, à ses mains l’enlaçant tout contre lui, ou même à leur discussion tendancieuse et charmeuse sur le yoga. « J’aime pas les élèves dissipés. » grogna-t-elle dans un rire, en feignant un petit air désapprobateur. Tessa n’était pas le genre de fille qui se sentait le besoin de donner des cours à tout le monde pour qu’ils fassent les choses comme elle le voulait : en couple, amoureuse, avec ses amis, le yoga avait toujours été son petit monde à elle. Elle s’en fichait, si d’autres en faisaient – okay, pourquoi pas en parler, pourquoi pas tenter de s’amuser une fois en faisant une séance à deux, mais de là à essayer de pousser quelqu’un à entrer dans son monde, c’n’était pas son genre. Alors il semblait bien qu’en réalité, la jeune femme ne s’estimait pas tant que ça être, la coach personnelle d’Aodren : avait-il un quelconque besoin de s’entrainer en sport pour se refaire une petite santé, hein ? C’n’était pas les muscles qui manquaient sur son corps – au contraire, il était parfaitement confortable comme ça. Et sexy à souhait. Tout à fait plaisant à regarder, qu’il n’en doute pas. Peut-être alors qu’elle non plus, s’ils devaient se mettre à faire du yoga ensemble, elle ne serait pas trop attentive à ce qu’elle ferait – parfois, fallait bien admettre qu’il suffisait d’un rien pour que Tessa soit totalement dissipée. « T’en fais pas, si je faisais pas ça pour moi-même, ça ferait dix ans que j’aurais abandonné. » posant son menton sur le torse du brun pour mieux pouvoir l’observer, Tessa haussa les épaules – qu’il ne se fourvoie pas, elle appréciait vraiment l’idée maintenant, de savoir qu’elle pouvait totalement désarçonner l’Adkins avec quelques mouvements bien préparés, et qu’en plus, ce serait utile à bien d’autres niveaux, notamment pour les activités du genre celles qu’ils pourraient faire dans ce lit, ou dans d’autres endroits, au gré de leurs envies. Mais le yoga, elle en ferait toujours même s’il n’avait jamais dû vivre avec elle, même s’il avait dû ne jamais glisser ses mains jusqu’au bas de son dos pour apprécier ses courbes – même s’il lui avait dit qu’il détestait ça et trouvait ça stupide. La différence entre Aodren et tous les autres, c’était qu’elle savait qu’il n’lui dirait jamais ça ; même pendant les périodes où il ne l’avait pas matée pendant qu’elle faisait son sport, il avait sans doute eu d’autres choses à faire que la juger pour ce qu’elle faisait pour elle-même et parce qu’elle aimait ça. C’était une des raisons qui faisaient qu’il était si parfait, si évidemment dans les ‘un pour cent’ des types bien qui existaient dans ce monde. Ça et le fait qu’il n’semble pas gêné de l’avoir perchée sur lui, maintenant, Tessa lovée peau contre peau, sa respiration de plus en plus paisible sous ses caresses suaves, et les paupières de plus en plus lourdes, comme si elle était affaiblie par toute cette tranquillité, gravitant dans l’air autour d’eux. « Hm bah si vient un moment où tu veux te lever, fais-le délicatement… » précisa-t-elle en sachant très bien que c’n’était sûrement pas quelque-chose qu’elle avait besoin de dire. Au moins, elle lui donnait la liberté de se lever sans elle, s’il ne s’endormait pas, lui aussi. A vrai dire, de ce qu’elle sentait des doigts du jeune homme, elle semblait l’emporter avec elle – ils n’avaient pas besoin des bras de Morphée quand ils avaient ceux de l’un et de l’autre.