Guernica. C’est ce que lui inspirait la scène qui se déroulait sous ses yeux. L’impuissance tout comme la puissance des frappes le laissait sans voix. Il n’était plus question d’une ville bombardée et anéantie, mais bien de deux. Ne restait plus que des ruines en surface et ce n’était guère mieux si l’on creusait un peu plus. Tout n’était plus que désolation. Plus une âme qui vive à l’horizon. Comment en étaient-ils parvenus à ce résultat meurtrier ? A ce point de destruction ? Pour sûr, il ne serait pas aisé de reconstruire cette relation sur les ruines présentes, mais le surfeur avait bon espoir qu’ils puissent y parvenir. Ils n’étaient pas face à l’autre pour rien. Du moins, c’est ce dont il était persuadé. Il y avait une raison à tout et même si c’était peut-être très, voire trop, terre à terre comme pensée, il aimait se raccrocher à cela. Se dire que tout était encore possible et qu’ils n’étaient pas d’illustres inconnus l’un pour l’autre. Noah en vint par la suite à se dire qu’il était vachement dangereux de s’attacher à quelqu’un. Que cela pouvait faire un foutu mal de chien. Il ne pouvait pas s’empêcher de penser à la perte éventuelle de l’autre. Comme si cette peur était maintenant inscrite sous son épiderme ou peut-être même encore plus profondément, jusque dans son ADN. Et cette perte il l’avait expérimentée malgré lui, au sujet d’Anthea. Elle pouvait lui reprocher tout ce qu’elle voulait, de ne pas avoir donné de nouvelles, mais dans le fond ce n’était pas vraiment ça le vrai problème. Il suffisait de faire un arrêt sur image pour se rendre compte que l’un et l’autre regrettait très probablement la décision prise il y a plusieurs années. Et tout semblait bon pour le faire remarquer à l’autre. Le processus de défense de Thea se rappelait petit à petit à lui. Un peu à la manière d’un travail de longue haleine, qui aurait demandé patience et dextérité, Noah parvenait à nouveau à se frayer un chemin au travers des barrières érigées par la jeune artiste. Il ne savait guère combien de temps il résisterait, mais pour le moment il parvenait à ne pas se faire éjecter ou trucider, ce qui était proche du miracle. «
Mmhh… c’est pas faux ! Je vais pouvoir répondre à l’affirmative pour poser pour la prochaine couv’ du GQ avec mon super short alors ! ». Nouveau sourire, parfois il ne savait même pas comment il pouvait sortir des conneries aussi énormes. Mais cela faisait partie du personnage et même si cette rencontre le surprenait toujours, le poussant à se comporter de manière un peu différente, il n’en restait pas moins que le naturel pointait le bout de son nez plutôt rapidement.
Cela n’avait pas changé ; la jeune femme avait toujours autant de mal avec les compliments. Noah se posait encore la question du pourquoi ? Pourquoi détestait-elle cela à un stade moléculaire ? Il en était venu un beau jour à la conclusion qu’elle n’aimait pas cela à cause de son enfance. Oui, il y avait toujours un rapport avec l’enfance dans ce cas. Et il trouvait cela dommage qu’elle se cache de la sorte, lorsqu’une parole positive lui était adressée. «
J’exagère pas… jamais ! L’everest ? La comparaison est intéressante ! ». Le surfeur voulait voir dans cette métaphore qu’elle était capable de grandes choses et que surtout elle pouvait y parvenir seule, peu importe les bâtons qu’on ait pu ou voulu lui flanquer dans les roues. Thea resterait pour lui et à tout jamais, l’exemple même de la femme forte, qui ne s’embarrassait aucunement des codes dressés par cette société que ni lui ni elle ne semblait comprendre. Un peu à la manière des héroïnes de ses comics. Et même s’il ne s’aventurerait certainement jamais à exprimer tout haut cette comparaison, pour lui cela relevait du véritable compliment. La conversation s’enchaina par la suite, entre arrosage et défi, avec en fond cette inquiétude qui perçait tout de même dans le ton des protagonistes. «
Je compte bien reprendre ma vie en main ! J’ai retrouvé ma collection de films Star Trek… depuis tout va mieux ! ». Et c’était vrai. Il se reprenait enfin en main. Son installation récente à New-York sonnait comme un renouveau pour lui. Un nouveau départ, un nouvel espoir d’une vie meilleure. Une vie où il n’y aurait aucunement de place pour les harpies, les drames en tout genre et la douleur. Non, rien de tout cela. Il ne savait pas vraiment qu’est-ce que la vie pouvait bien lui réserver pour la suite, mais il avait très fortement envie de croire qu’elle serait joyeuse et sans embuches. Noah estimait avoir largement payé sa dette envers peu importe quoi, mais il avait lourdement payé, pour au moins les cinquante prochaines années à venir. D’ailleurs, pour célébrer sa liberté nouvellement acquise – un peu comme s’il venait de purger sa peine et qu’il était finalement sorti de prison après de longues années – Noah s’était payé le luxe de se prendre quelques jours de congés, quelques semaines auparavant, pour aller surfer en Nouvelle Zélande. Cela l’avait pris comme une envie soudaine de pisser. Se retrouver seul, faire le point, sentir les vagues et sa planche de surf sous ses pieds. Liberté qu’il avait embrassée en ne pensant absolument qu’à lui et à lui seul. Il n’avait donné de nouvelles à personne durant ces quelques jours, chose qui lui avait valu un message lui demandant s’il était toujours en vie, de la part de Candice. «
J’ai pris ma dose il y a peu… Ça se voit pas que je suis bronzé ? Mince, je suis déçu si ça voit pas… Va falloir que j’envisage d’aller au ski pour parfaire tout ça ! Tu m’accompagnerais ? ». Grand sourire aux lèvres, Noah savait pertinemment que la réponse serait non, mais toujours dans le but de lui faire déposer totalement les armes, il essayait encore et encore. D’un regard extérieur, cela pouvait presque passer pour du harcèlement, alors que pas du tout. Moment d’accalmie avant que la déferlante ne l’emporte durement, avec force et ne l’écrase contre les rochers.
Et en fin de compte, il n’avait plus envie de rire, ni de s’amuser de la situation. Un peu comme lors de l’épisode de la toile ou lorsque Thea l’avait appelé pour lui dire qu’il était préférable que chacun vogue de son côté. Il resta là stoïque et pantois, devant les accusations de l’artiste. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle n’y allait pas avec le dos de la cuillère. Elle venait de frapper exactement là où cela faisait le plus mal. Noah la laissa déverser son flot haineux et même s’il n’avait qu’une envie à cet instant – à savoir de prendre ses jambes à son cou et de courir le plus loin du centre commercial et le plus vite possible – il resta face à la jeune femme, en la regardant droit dans les yeux. Sans ciller, sans bouger. Sans vraiment savoir pourquoi. Tout sonnait le malaise chez elle. Le faux rire qui s’extirpa des lèvres de cette dernière le fit frissonner d’effroi – comme s’il venait d’entendre le pire doublage de l’univers, alliant la voix de Gollum au physique de Batman. Il n’était pas dupe devant le comportement bien trop emporté de la jeune femme. Elle était tellement crispée, telle une bombe prête à éclater à la fin du compte à rebours. Cela ressemblait à s’y méprendre à une sorte de crise de jalousie. Lui aussi aurait pu lui hurler dessus et lui sortir tout un tas d’horreurs au lieu et en place de quoi il eut une réaction tout à fait à l’inverse. Prouvant par la même occasion que non il n’avait pas tant changé que cela, qu’il était toujours le même dans le fond et qu’il savait reconnaitre lorsqu’il était en tort. «
J’ai voulu croire que cette relation était faite pour moi, mais visiblement je me suis trompé… Y a pas de mal à se tromper. Je suis humain, j’ai jamais prôné le contraire ! Peut-être que je suis pas fier de ce que j’ai pu représenter ces dernières années, mais le principal c’est que j’apprenne de mes erreurs et ce que je vais faire demain ! Et puis je savais pas qu’on devait se cacher des trucs… première nouvelle ! ». Ils n’avaient jamais eu de secrets l’un pour l’autre, Noah ne voyait pas pourquoi cela devrait commencer maintenant. Même si tout ceci était douloureux, même s’il fallait forcément en passer par là pour repartir sur de bonnes bases, Noah ne se voyait pas lui cacher un pan entier de sa vie. Thea en aurait certainement profité par la suite pour le lui envoyer à nouveau dans les dents et le résultat aurait certainement été bien pire. Encore une fois, ils n’avaient jamais fonctionné de la sorte, alors pourquoi changer aujourd’hui ? Pour les beaux yeux de la bienséance ? Mais ça, il s’en fichait pas mal. Tant pis si ce qu’il était en train de lui dire ne lui plaisait pas, il ne s’en était jamais vraiment soucié non plus. «
Peut-être que je me suis égaré aussi, parce que j’avais plus de repères… Une proie facile pour une perverse narcissique ! Ok, je suis fautif, parce que je me suis laissé enfermer dans un truc qui me ressemblait pas tu me diras… ». A la suite de quoi, il se contenta simplement de hausser les épaules. Il n’avait jamais véritablement eu du mal à mettre des mots sur ce qu’il pouvait ressentir. Le problème étant plutôt qu’il essayait de tout refouler, de tout cacher dans une jolie boîte. Mais quelque chose lui disait qu’aujourd’hui il ne devait pas le faire. Et même s’il n’avait absolument aucun compte à rendre à Thea, il se sentait presque obligé de lui expliquer le pourquoi du comment. «
Ça va faire 8 ans Thea… c’est moche d’attendre un signe de l’autre pour se sentir heureux… On a pas pris de nouvelles, peut-être qu’on a arrêté d’attendre ce signe malgré nous, au bout d’un moment… », il pinça les lèvres et secoua la tête, prouvant ainsi que les raisons lui échappaient. «
Ça veut pas dire que je pensais pas à toi dès que je passais devant une galerie d’art par ex, que j’ai réussi à tirer un trait comme ça sur ce qu’on a partagé. Ou que j’avais honte de nous… Je veux pas que tu crois ça ! Les circonstances et la vie ont fait que et bien on a pas pris de nouvelles l’un de l’autre. Tu as tes raisons, j’ai les miennes et je t’en veux pas pour ça… Ça te plais sûrement pas ce que je suis en train de dire, mais on va pas réécrire l’histoire et encore moins revenir en arrière. Ce serait super cool, mais c’est pas possible ! Maintenant c’est à nous de faire en sorte de reprendre éventuellement contact et sinon et bien la ville est assez grande pour qu’on évite de s’étriper ! », immédiatement après avoir dit tout ça il eut à nouveau envie de se frapper. Mais il devait se rendre à l’évidence, sans nouvelle d’Anthea, son monde s’était écroulé autour de lui. Et comme il venait de le faire remarquer quelques minutes auparavant, il avait perdu ses repères un peu insidieusement lorsqu’ils avaient explicitement mis fin à leur relation. Voyant bien qu’il se confrontait à un mur, le surfeur préféra mettre fin à ce désastre galactique. «
Dans deux semaines, Candice débarque pour la soirée intégrale de Star Wars… Ça a lieu à Central Park, t’as certainement dû voir des affiches un peu partout… Si le cœur t’en dit on peut se retrouver sur place pour rediscuter de tout ça… Sinon, ce fut un plaisir Thea, malgré ce que tu sembles penser… Tu m’a manqué ! ». Et avant qu’elle ne réponde quoi que ce soit et surtout afin d’éviter de ce prendre un coup de poing mal placé, Noah détala à toute vitesse, sans demander son reste.
THE END