Les derniers mois avaient été chaotiques, épuisants, Jackson les avait passés à courir d’un côté à l’autre de son emploi du temps qui s’étendait des petites heures du matin jusqu’à tard le soir. Il avait été embauché au Big Apple Circus il y avait de cela neuf mois maintenant, mais il n’avait été qu’en entraînements et répétitions pour le prochain spectacle qui était dévoilé à l’automne, c’est-à-dire, la saison actuelle. C’était d’ailleurs ce soir la grande soirée d’ouverture, la grande première, au Lincoln Center for the Performing Arts. Sauf qu’en plus de toutes les pratiques sévères et strictes pour que tous les artistes soient fins prêts pour ce soir, Jackson avait dû terminer les représentations prévues à son ancien contrat, avec un cirque plus local mais qui partait souvent en tournées à travers les États-Unis pour agrandir son bassin de fans et gagner en popularité – ce qui ne fonctionnait pas trop, au final. Malgré tout, prisonnier de ce contrat qu’il ne pouvait résilier, Jackson avait dû jongler entre son emploi qui prenait fin et son tout nouveau job, celui qui le faisait rêver. Il avait essayé d’assurer le plus possible lors des répétitions, malgré la fatigue, malgré les courbatures liées à tout ce voyagement d’un bout à l’autre du pays. Au moins, ça avait payé, et il avait vraiment l’impression que le spectacle qu’il allait donner ce soir avec ses collègues allait être hallucinant, époustouflant, surprenant. Lui faisait deux numéros, au total, un de groupe aux trapèzes ballants et un duo d’acrobaties avec tissu. Il avait évidemment invité Samuel et Flynn à venir voir cette toute première représentation, dont l’assemblée était surtout composée de journalistes et de noms communs du monde du cirque, mais les artistes avaient également droit à quelques billets pour la famille. Avec les récents événements avec sa propre famille, Jackson avait préféré réserver ses deux billets pour ses deux copains, préférant les voir eux l’applaudir. Malheureusement, Flynn n’avait pas pu être de la partie, et il y aurait donc un siège libre à côté de Samuel. Jackson n’avait pas osé inviter qui que ce soit d’autre. Peu importe, si Sam était là pour l’encourager, il n’était pas à plaindre. L’heure du spectacle arrivait à grands pas, et Jackson termina son maquillage et son costume alors que les premiers artistes se donnaient déjà sur scène. Ses deux numéros se situaient après vingt minutes et après une heure et dix minutes respectivement. La finale ne se trouvait qu’à quelques numéros après son tout dernier, pour un spectacle de quatre-vingt-dix minutes au total. Elles passèrent vites, si vites, ces minutes. Son moment de gloire sembla ne durer que quelques secondes à peine, mais pendant ce court laps de temps, Jackson avait brillé. Assez pour qu’au salut final, il croise le regard de Samuel, pour la première fois depuis des semaines et des semaines en raison de l’absence de Jackson, et qu’il y lise toute l’admiration qu’il avait eu pour lui pendant ce spectacle. Un sourire heureux, fier et niais s’installa sur les lèvres de Jackson alors qu’il le regardait, avant de reporter son regard sur tout ce monde levé pour eux, applaudissant et criant. C’était la première fois qu’il se donnait devant un si grand public et, franchement, il était au centième ciel, si celui-là existait. Et il ne tarderait pas à y emmener Samuel avec lui, dès qu’il l’aurait rejoint dans les loges, où Jackson l’avait invité dès la fin de la représentation.

Jackson avait filé jusqu’à sa loge, d’un pas rapide, de toute façon trop excité par la finale du spectacle pour pouvoir adopter une démarche lente. Il poussa la porte de sa loge qu’il partageait avec les autres acrobates, mais ceux-ci étaient peut-être allés voir leurs familles avant de revenir se changer. Lui, puisqu’il avait donné rendez-vous à Samuel ici, entreprit sans plus tarder de retirer ses collants trop serrés, et d’enfiler ses caleçons. Il retirait le haut de son costume, se retrouvant torse nu, quand des bras forts et familiers attrapèrent sa taille. « Sam ! » Jackson se tourna vers le beau brun avec un grand sourire, et le serra dans ses bras. « God, je suis tellement content de t’voir. » Il se défit de leur étreinte et, bien que l’envie de l’embrasser après tout ce temps le démangeait, il garda une bonne distance entre leurs visages. Il était maquillé de façon bien artistique, prononcée, mettant l’accent sur les expressions qu’il abordait durant le spectacle. De près ou de loin, tout le monde pouvait ainsi voir. « Attends, laisse-moi juste enlever tout ce maquillage, ça m’donne tellement l’air … » Jackson ne termina pas sa phrase, se contentant d’un rire nerveux qui s’échappa d’entre ses lèvres encore entrouvertes suite à ses paroles inachevées. Gay. Ça lui donnait l’air tellement gay, voilà ce qu’il s’était apprêté à dire avant de se reprendre lui-même, avant de se censurer sur des mots qu’il aurait rapidement regrettés. C’était une vieille habitude, ce genre d’insultes à la communauté gay, c’était une défense qu’il s’était construite pour qu’on ne pense pas que lui-même l’était. Ça datait, tout ça, l’époque où il se cachait, les années durant lesquelles il tentait de convaincre son père qu’il était un fils digne, qu’il n’avait pas à être une déception à ses yeux. Son adolescence, durant laquelle il avait lui-même tenté de se convaincre qu’il n’était attiré que par les femmes, parce que c’était ça qui était normal. Alors oui, maintenant Jackson s’acceptait, Jackson appartenait à cette communauté, mais il avait encore parfois certains réflexes qui remontaient trop vites, sans prévenir. Il tentait de s’en détacher, du mieux qu’il le pouvait, mais ça ne se faisait pas du jour au lendemain. Il changea donc bien rapidement de sujet, en se rendant au miroir. « J’suis tellement content que t’aies vu ça. T’as pas idée, Sam, comment j’me sentais là-haut. Rien à voir, j’te dis rien à voir avec l’autre cirque bâtard pour lequel je bossais ! Là, c’était du spectacle, du vrai de vrai, et bordel je me sentais … comme … » Ne trouvant pas les mots, il secoua la tête avec un grand sourire scotché au visage, levant ce dernier vers le ciel en même temps que ses bras, comme pour montrer tout là-haut, là où il se trouvait quand il était dans les airs. Bien plus haut que les six ou sept mètres de la scène. Il continua à rire, comme dans un autre monde, mais ça c’était Jackson tout craché quand il était sous l’adrénaline. Il en devenait presque comme un maniaque sur une pente montante, dans un high total. Il prit une serviette pour se démaquiller face au miroir, regardant Samuel à travers celui-ci. « Tu m’as manqué, tu sais. Et Flynn aussi. J’espère qu’il saura nous rejoindre plus tard ce soir, y’a qu’avec vous deux que j’ai envie de fêter cette grande première. » Sans doute que les autres artistes rentreraient chez eux, de toute façon, reposer leurs corps pour les prochains mois de représentations qui les attendaient tous. Il n’y avait pas de grands fêtards dans une discipline aussi intense. Sauf que Jackson se permettrait un écart, juste cette fois, pour retrouver ses hommes, ou au moins un des deux, qu’il avait trop négligés ces derniers mois.

Alors que Jackson s’était décalé jusqu’au grand miroir de maquilleuse, éclairé tout autour par de grosses ampoules, Samuel n’était pas longtemps resté en retrait. Il se rapprocha de l’acrobate et vint poser sa tête sur son épaule, malgré les mouvements de l’homme alors qu’il se démaquillait. Jackson fit d’ailleurs bien attention de ne pas trop brusquer la belle tête de l’acteur porno, en ralentissant ses gestes. Son regard se posa sur son copain et il sourit. Cette proximité lui avait manquée. Si seulement il pouvait aussi y avoir la tête de Flynn, sur son autre épaule ! Mais la présence de Samuel lui suffirait amplement pour la soirée. « Oh oui, il le faut vraiment. » Il eut un léger rire. « Sinon, tu t’ramasseras avec du fond de teint blanc et des traces colorées sur tout le visage et tout le corps, quand j’en aurai fini avec toi cette nuit … » Et ça prendrait bien du temps, avant qu’il n’en ait terminé avec lui. Jackson n’avait pas eu beaucoup de temps pour des relations, ces derniers mois, que ce soit avec ses deux hommes ou avec d’autres partenaires. L’envie de lui faire l’amour était donc bien présent, bien pressant. Jackson revint finalement sur le spectacle, parce que son euphorie ne s’était pas encore effacée, pire encore elle était décuplée par la présence de Samuel. Ses éloges, ses compliments et ses beaux mots ne faisaient que renforcer l’extase. « Merci, Sam. J’avoue que je me sens beaucoup mieux ici, pour cette compagnie. J’y ai vraiment ma place. » Évidemment, ce n’était pas son objectif de carrière. Il aurait voulu partir à l’international, dans des cirques qui se donnaient dans un tas de pays, mais pour un début ce n’était pas trop mal. Il avait encore quelques années devant lui avant d’avoir à prendre sa retraite d’acrobate. Cette idée lui faisait peur, mais il ne voulait pas y penser. Tous les athlètes étaient dans la même situation ; à un certain âge, le corps n’offrait plus le même travail que dans sa jeunesse. Jackson se concentra de nouveau sur les paroles de son copain quand il demanda un spectacle privé. Il lâcha un doux rire, posant devant lui la serviette humide et les produits démaquillants, puis entrepris de terminer de se changer, s’écartant un peu de Sam. « Tu veux qu’on accroche un trapèze au-dessus d’mon lit pour qu’on y fasse des galipettes, c’est ça ? » Demanda-t-il avec humour. L’image avait beau être drôle, un système du genre pourrait donner un sacré terrain de jeux d’adultes. Pendant qu’il rangeait ses collants, l’acteur les mentionna justement en disant que Flynn regretterait sans doute ne pas avoir vu ses fesses bien mises en valeur là-dedans. Jackson sourit. « Comme ça, il s’empressera d’acheter des billets pour la prochaine représentation. » Et, honnêtement, ça ferait bien plaisir à l’acrobate, qui n’attendait que ça. Ce ne serait pas de sitôt que des membres de sa famille viendraient le voir performer, encore moins avec la condition médicale actuelle de son père, alors Jackson ne pouvait que compter sur ses amis et ses deux copains pour l’encourager. Une fois son sac fermé, son linge normal remis sur son dos et son visage complètement effacé de toute trace du spectacle, Jackson revint vers Samuel pour l’embrasser, enfin. Leurs corps se collèrent l’un contre l’autre, leurs lèvres ne se lâchaient plus, à tel point que Jackson aurait voulu relaisser tomber son sac de sport par terre et prendre Sam ici, maintenant. Sauf que les autres artistes ne tarderaient pas à revenir. Les deux hommes se détachèrent, et Sam demanda alors ce qu’il avait envie de faire pour la suite. « Nah, on reste pas ici. J’aurai tout le temps du monde pour féliciter les autres et célébrer avec eux, demain après-midi, quand les pratiques vont recommencer. » Pas de repos pour les braves ! « J’ai plutôt envie qu’on rentre chez moi, ou chez toi, tant que Daisy n’y est pas. » Ce qui laissait bien entrevoir ses intentions, à Jacks.

Jackson arqua un sourcil en entendant Samuel rectifier ses paroles. Un sourire en coin se dessina sur ses lèvres, faisant ressortir sa fossette qui creusait sa joue à chaque petit bonheur, et il posa une main sur la hanche de son homme pour le rapprocher de lui. « T’sais, c’est pas parce que t’as free access à mon derrière que moi, j’peux pas t’attaquer de mes mains, de mes lèvres … » Fit-il remarquer. Il était vrai que c’était la plupart du temps Samuel qui était le dominant, mais cela n’avait jamais empêché Jackson de découvrir le corps de son amant de toutes les autres manières possibles. Avec ce fond de teint blanc et ces accentuations colorées sur ses traits, le jeune homme pouvait être certain de finir blanc comme neige – avec quelques traces d’arc-en-ciel sur lui, parce que, soyons honnêtes, Samuel ne pourrait jamais être totalement blanc. Il n’avait rien d’un ange. Les deux hommes abordèrent de nouveau la prestation de Jackson, avançant l’idée que ce pourrait être assez bien de s’offrir un spectacle privé. Bien vite, l’imagination de l’artiste fusa dans tous les sens, organisant déjà comment accrocher au plafond, ne serait-ce que pour le temps d’une nuit, de quoi se créer un véritable terrain de jeux aérien. Ça lui semblait le scénario idéal pour quelques fantasmes à réaliser, jusqu’à ce que Samuel amène également l’idée de se filmer pendant cette grandiose performance. Tout de suite, il se referma, dans un rire gêné et reculant d’un pas pour retourner au miroir. « Bien essayé, Sam. » Il secoua doucement la tête de droite à gauche, arborant encore son sourire gêné. Jackson n’était pas du tout à l’aise avec l’idée de se retrouver sur un enregistrement de ce genre, et ce même si ce n’était que pour le plaisir de leurs yeux à tous les trois. Il ignorait s’il s’agissait d’une crainte latente provenant de la honte qu’il avait vue dans le regard de son père quand ce dernier avait réalisé que son fils était queer. Dans tous les cas, ça provenait d’un malaise bien profond, que Jackson n’était pas encore tout à fait prêt à surmonter. Heureusement, il savait que Samuel le taquinait plus qu’autre chose, et qu’il respecterait sa décision. Les lèvres des deux hommes se retrouvèrent enfin, maintenant qu’ils étaient prêts à partir. Ils n’auraient plus à attendre bien longtemps avant de pouvoir se retrouver pleinement. « Ça lui plairait pas d’m’entendre crier ton nom toute la nuit ? Elle est pas très drôle … » Releva Jackson avec humour dans la voix. Il n’avait encore jamais eu le plaisir de rencontrer la nouvelle colocataire de Samuel, mais il était vrai que ce soir n’était sans doute pas le meilleur moment pour ce faire. Son copain attrapa finalement son sac, en vrai gentleman, avant de quitter la loge pour regagner le stationnement. « Je n’attends que l’invitation, moi ! » Lança Jackson quand il arriva à la voiture de Samuel. Il passerait cette semaine, si tel était le désir de son homme. Les deux prirent place chacun de leur côté sur les sièges, et prirent la direction de l’appartement de Jackson, qui vivait présentement seul. New York étant New York, ils attendirent plusieurs minutes dans le trafic des grosses avenues, mais arrivèrent quand même au logement de l’homme à une heure raisonnable. « Tu restes pour la nuit, hein ? » Demanda Jackson, clairement en manque d’affection et de tendresse après tout ce temps. S’endormir dans les bras de Flynn ou de Sam, ou des deux en même temps dans le meilleur des scénarios, ça lui avait manqué.

Ils retrouvèrent le vide, le silence, l’intimité, dès la seconde où ils posèrent le pied dans l’appartement de Jackson. Ils allaient devoir en profiter, de cette délicieuse solitude, parce que comme Samuel, l’artiste commençait à réfléchir à vivre en colocation. De un, ce qu’il faisait était bien beau et grandiose, mais niveau revenus, ce n’était pas encore tout à fait ça. De deux, quand Sam ou Flynn n’étaient pas là, l’endroit lui semblait bien vide. Il savait qu’il ne pouvait pas attribuer cela au logement en tant que tel mais bien à la situation en elle-même. Il n’aimait pas forcément être seul, du moins pas aussi souvent. Peu importe quel appartement il habiterait, ce serait toujours la même chanson. Il s’ennuierait, se tournerait les pouces, soupirerait, et quand Jackson était trop dans sa tête ça ne le rendait fou. Il avait besoin de parler, de rire, de déconner, et faire ça avec soi-même ce n’était pas forcément considéré comme sain, passé une certaine limite. Il avait songé discuter avec l’un de ses hommes de l’idée d’emménager, que ce soit à deux ou à trois. Sauf que Jackson s’était bien vite dégonflé. Après tout, il était le tout dernier entré dans la relation, celui qui ne savait pas trop comment ça devait fonctionner ou à quel point il avait le droit de s’attacher. C’était sa première relation à trois et honnêtement, même après tous ces mois, il avait parfois encore du mal à s’adapter à la nouveauté, à l’originalité de la chose. Flynn et Sam semblaient tellement habitués, comme si toute leur vie avait été passée dans un ménage à trois. Jackson, lui, hésitait à inviter un sans l’autre, à ressentir des papillons à tel moment avec l’un mais pas avec l’autre. Comme si le fait que son cœur balance parfois le faisait sentir infidèle alors qu’au fond, cette culpabilité n’avait pas lieu d’être. Certes, avec le temps, Jackson s’était beaucoup amélioré, ces doutes-là s’étaient dissipés, mais quant à la question de vivre ensemble, il avait finalement abandonné l’idée. Il s’était dit que c’était une forme d’engagement un peu trop sérieuse, eux qui avaient toujours crié haut et fort à quel point ils étaient libres. C’est pourquoi, à la place, Jackson songeait à répondre à quelques annonces en ligne pour des recherches de colocataires, ou en poster lui-même. Il n’avait pas encore parlé de cette idée ni à Sam ni à Flynn, mais au fond, c’était sa décision. Ils se trouveraient un autre endroit pour avoir la paix. « Nan mais on sait jamais, des fois que tu me sortes ton discours de j’me lève tôt demain, j’voudrais pas te réveiller, blah blah niania. » Lâcha Jackson en prenant une voix qui imitait tout sauf Sam, en faisant des grimaces pour accompagner le chef-d’œuvre. Les deux hommes se libérèrent de leurs vestes, chaussures, sacs, laissant le tout dans l’entrée avant de s’avancer vers la pièce centrale. Sam en profita pour lui voler un baiser, au plus grand bonheur de l’acrobate. « J’avoue que maintenant que la fatigue me rentre dans le corps, j’ai un petit creux. Faudrait pas trop que je bouffe par contre. Entre faire un malaise ou t’vomir dessus pendant, j’pense que y’a un juste milieu. » Il esquissa un sourire moqueur avant de se diriger vers le réfrigérateur. Il s’en sortit quelques plats déjà préparés, des restants surtout, ou des trucs qui faisaient office de collation. « T’as faim, toi ? Ou peut-être que tu voudrais boire quelque chose ? » Demanda-t-il en levant les yeux vers Samuel.