Bailey était tellement adorable que Diego lui aurait pincé la joue s’il le pouvait – et ça, même si ces pensées s’étaient éloignées de la nourriture dont ils parlaient. « Ouais, je connais le truc. » Ils avaient déjà du mal à payer leur loyer à la fin du mois, donc les soirées sushis… depuis qu’ils étaient arrivés à New York, ils en avaient plus faites. Ils avaient les soirées malbouffe avec la coloc, mais ils se contentaient de ramener le pain et les saucisses qu’ils n’avaient pas vendus – donc, la quasi-totalité de leur stock – avant qu’ils ne pourrissent. Au moins, quelqu’un allait en profiter. Il remarqua que Bailey ne semblait pas vraiment à l’aise sur le terrain de ses souvenirs, mais il ne l’interrogea pas plus. « Je vois... » Il nota dans un coin de son esprit que le rouquin n’était pas originaire de la Grande Pomme. Ce n’était peut-être pas le moment de lui poser la question, surtout s’il devait rentrer. « Et oui, y’a pas de soucis – et je le prends pas personnellement, t’inquiète. » Il ne put s’empêcher de se demander s’il avait dit ou fait quelque chose qui n’allait pas – avait-il gâché toutes ses chances avec le jeune Marshall? Il balaya l’idée d’un coup de main imaginaire, se disant que ça n’allait rien arranger d’y réfléchir. « Pourquoi est-ce que je ne t’y accompagnerais pas, telle est la question. » Il lui tapota les côtes d’un coup de coude, le taquinant gentiment. Les deux hommes marchaient doucement en direction du métro, qui n’était pas bien loin – pour le plus grand malheur du brun. « Mon souvenir préféré… » Il indulgea quelques instants, grattant dans les recoin de sa mémoire pour chercher quoi partager avec Bailey. Quand il se mit à parler, sa voix était enjouée – il essayait de transmettre la joie de son passé, du moment qu’il avait passé avec Paula il y a de très longues années de cela. Ça ne pouvait pas lui faire de mal, en tout cas. « Je pense que c’était quand ma sœur et moi on a essayé de ramasser des pêches sur les arbres d’un jardin pas loin de chez nous. » À Malaga, la plupart de leurs voisins avaient de grands jardins avec des arbres à fruits. Diego, il aimait les pêches. Il pouvait en manger du matin au soir sans en avoir marre, jusqu’à l’indigestion. Du coup, il avait secoué le bras de Paula jusqu’à ce qu’elle accepte de l’accompagner. Il avait juste peur de se faire attraper alors qu’il était seul. Au moins, comme ça, ils seraient dans le même bateau. « M’enfin, c’est plutôt moi qui suis monté, et aussi moi qui suis tombé sans avoir pris le moindre fruit. Et Paula était là, la moue toujours boudeuse, alors que j’étais couvert de sang. Et j’ai explosé de rire. » Il était à deux doigts de pleurer, mais voir sa sœur bouder dans une telle situation l’avait bien amusé. Il en avait même oublié sa douleur, du moins jusqu’à ce que sa mère leur hurle dessus pendant qu’elle désinfectait ses blessures. Il haussa légèrement les épaules avant de terminer sa petite histoire. « Et voilà. Ça a un peu toujours été elle et moi contre le monde, sa mine boudeuse et… moi. » La preuve, ils étaient toujours là, ensemble contre la vie. Il ne savait pas grand-chose du futur, mais il savait qu’il n’allait jamais quitter Paula, et vice versa. Du moins, il en était persuadé.

Ils ne s’étaient pas vraiment pressés, mais ils étaient tout de même arrivés assez rapidement au niveau de l’arrêt du métro. « J’espère que ça va aller pour rentrer. Je peux pas remonter par ici, mais tu dois sûrement connaître la route mieux que moi » C’était en partie faux – il aurait très bien pu prendre le métro au même endroit, mais il fallait bien qu’ils se séparent à un moment. Et puis, il n’avait pas envie de monter dans un train bondé alors qu’il faisait déjà bien assez chaud dehors. Sans oublier que marcher lui faisait toujours du bien. Sa voix était un peu hésitante au niveau de sa dernière phrase. « Et… t’as mon numéro si jamais. » Il espérait juste ne pas avoir à regarder son écran vide toute la soirée.

Au moins, apparemment, Diego ne l'avait pas mal pris, fort heureusement. Il n'aurait pas pu supporter une crise soudaine sans être complètement dans le malaise. Il se sentait déjà assez mal comme ça de vouloir le quitter subitement, mais Bailey était ainsi, il résonnait à l'impulsion, trop parfois, il pourrait gravir des montagnes ou rester des heures au lit si son humeur l'affectait grandement. Demander de lui faire resurgir ses souvenirs, son passé l'avait mis mal à l'aise. Pourtant, il ne tenait aucune rancœur envers Diego, il savait qu'il n'était pas au courant et qu'il pensait sûrement que Bailey faisait partie de ces garçons ordinaires. Celui qui a grandi dans une grande famille aimante, qui était au lycée du coin, avant d'être promis à une université avec laquelle il aurait décroché une bourse pour le sport. La réalité était toute autre, malheureusement. Commençant à marcher en direction du métro, le rouquin garda une oreille attentive à ce que racontait l'espagnol. Un souvenir d'enfance, où lui et sa sœur étaient à un arbre, avec une anecdote qui se concluait sur un accident mais dont il préférait en rire. C'était touchant, voire presque émouvant. Il aimait cette beauté, ces petites touches de la vie quotidienne. Instinctivement, et sans lui répondre, Bailey lui adressa un grand sourire. « Je serai curieux de la rencontrer. » Voir un frère et une soeur unis, d'autant pus que ce sont des jumeaux, c'était quelque chose que rêvait de voir Bailey. Cela paraissait simplet, voire stupide mais il enviait cette situation. La veine ! Bailey avait toujours eu cette envie d'avoir un petit frère ou une petite soeur, chose qu'il avait partiellement obtenu dans une de ses familles d'accueil, mais ils n'étaient pas de son sang, et aussitôt Bailey était parti, il était peu de temps après oublié.

En peu de temp, trop peu de temps selon Bailey, ils étaient déjà arrivé près de la bouche du métro. Le temps des au revoirs. Le rouquin angoissait déjà de partir. « Je te textoterai pour dire que je suis bien arrivé chez moi. » iL ferait ça, pour sûr. Il voulait à tout prix éviter d'instaurer un malaise, un blanc qui pourrait se révéler très regrettable par la suite. lui offrant un dernier sourire, le rouquin s'approcha lentement de lui, lui faisant face. « Je te remercie pour cet après-midi, très sympathique. » Et en guise de récompense, il vint vers lui, l'embrassant tendrement sur les lèvres. Un baiser court, -trop- rapide mais suffisant pour un au revoir. Il y en aurait peut-être certainement d'autres. D'un mouvement de la tête, il lui indiqua son départ, ainsi qu'il reculait en faisant marche arrière avant de s'engouffrer dans la bouche de métro. Lorsqu'il lui faisait dos, Bailey ne put s'empêcher de grandement sourire, instinctivement heureux. Il aurait pu changer d'avis, lui dire que ça allait mieux mais il n'avait pas envie de paraître comme un fou.

L’espagnol ne put s’empêcher de ricaner lorsque Bailey mentionna le fait qu’il aurait bien envie de rencontrer Paula. En effet, celle-ci savait déjà qui était le rouquin – Diego lui avait peut-être demandé de l’aide pour savoir comment lui répondre. Il écrivait un premier message et puis elle lui disait si d’après elle c’était nul ou pas. « J’ai très hâte de voir ça aussi. » Il espérait juste qu’elle fasse l’effort de lui sourire, ne serait-ce que pour ne pas le faire partir en courant. Mais au fond de lui, il avait vraiment envie que Paula et Bailey puissent s’entendre. Après tout… il n’avait pas envie de se batailler jour et nuit pour pouvoir garder sa jumelle et un éventuel copain. M’enfin, ils n’en étaient pas encore à ce point-là, et il avait encore un peu de temps avant de se soucier de tout cela.

Les deux étaient arrivés bien trop vite à l’arrêt du métro. Si le brun n’avait pas envie que leur rendez-vous se termine de sitôt, il n’avait pas vraiment le choix pour le coup – il espérait juste revoir Bailey suffisamment tôt. « Ça marche. Je t’en enverrai un quand je serai rentré de mon côté aussi – mais t’as pas à t’inquiéter pour moi. » Il ne savait pas vraiment dans quel coin du Bronx le rouquin habitait, mais dans un cas comme dans l’autre ça le rassurerait de savoir qu’il était bien rentré. De son côté, il ne se faisait pas de soucis. Diego sentit ses joues se colorer doucement au compliment de Bailey, et s’il l’avait pu, il lui aurait dit que le plaisir était le sien – et que sa journée avec lui avait été géniale. Mais avant qu’il n’ait eu le temps de lui répondre, il sentit ses lèvres s’écraser contre les siennes. Ça ne dura qu’un instant – un instant de plaisir, mais toujours un simple instant – avant qu’ils ne doivent se séparer. Il lui fit un dernier signe de la main avant de s’éloigner une fois le rouquin disparu dans la foule qui se  pressait vers le métro. De son côté, il se mit à marcher sous le soleil adouci par l’arrivée de l’après-midi, ses écouteurs enfoncés dans les oreilles. Il avait bien envie de prendre son téléphone et envoyer un message à Bailey, lui demander s’ils ne pouvaient pas se dépêcher de se revoir. Mais il se contenta de se fondre dans sa foule à lui, qui peuplait les trottoirs en direction du Spanish Harlem. Il avait envie de danser et chanter, et expliquer sa joie à quiconque daigne bien l’écouter. Manque de pot, personne n’était là pour l’entendre, donc il se contentait de bouger doucement sa tête au rythme de sa musique, pensant avec impatience au moment où leurs chemins se croiseraient à nouveau.