Depuis qu’Eden est arrivée dans la pièce, elle sent que le sujet latent reste le départ de Louis de Los Angeles. Bien sûr, ce n’est pas quelque chose qu’il a fait par choix. Pas réellement. Personne ne choisit d’être envoyé en prison, même si certains – comme le père Fitch, par exemple – n’hésiteront pas à dire qu’il l’a bien mérité. Lui ne pensait pas que cela lui arriverait un jour. Eden non plus ne devait pas y croire. Et il comprend que le sujet l’intéresse. C’est elle qui lui a donné ce défi, alors elle a dû croire que c’était de sa faute pendant un moment. Il connait Eden. Il sait que c’est ainsi qu’elle a dû prendre les choses. Pourtant, il sait qu’elle n’y est pour rien. Il aimerait lui dire, mais les mots ont du mal à sortir. Cela fait un an qu’il est sorti de prison, mais la douleur est encore trop présente, bien trop vive pour lui. Il a l’impression qu’on lui a volé six années de sa vie. Que son père lui a volé six années de sa vie. Des années qu’il ne pourra jamais récupérer. Alors il tourne autour du pot comme elle-même le fait, n’entre pas directement dans le vif du sujet. Il parvient même à en oublier cette histoire de matchmaker qui l’a tellement fait angoisser au moment où la blonde a passé le seuil de l’entrée. Mais là, tout tourne autour de la prison, même si les choses ne sont pas dites clairement. Son colocataire, Mason, qui était également son compagnon de cellule. Sa petite-amie, qui l’a abandonné parce qu’il était devenu un prisonnier, qu’il n’était plus quelqu’un de bien à ses yeux – il sait que c’est pour ça qu’elle ne voulait plus de lui, pas parce qu’elle était subitement devenue lesbienne, il en est persuadé. Alors ils se contentent d’effleurer le sujet, de plus en plus près, sans jamais l’aborder réellement. « Oh bah merde alors. J'ai eu presque la même y'a quelques mois. Ma copine enfin non. Ma fiancée que je découvre à poil dans un lit avec un mec. J'ai pris ça pour une rupture tu vois. » Louis ne peut s’empêcher de rire, mais ce n’est pas de bon cœur. Franchement, les gens auxquels on tient le plus n’ont rien à faire du fait de heurter nos sentiments. Que ce soit sa petite amie qu’il s’apprêtait à demander en mariage ou la fiancée d’Eden qui n’avait eu aucun mal à aller voir ailleurs. Comme quoi, l’amour c’était peut-être juste un amusement pour certains. Pas quelque chose de sérieux. Pas étonnant que lui-même tente de s’amuser sur matchmaker après ça. Il ne fait que ce que tout le monde fait. Néanmoins, son rire n’est qu’un rire jeune. Il est loin d’être amusé par cette constatation. « Moi, elle m’a dit ça alors que je m’apprêtais à la demander en mariage. J’ai encore la bague dans ma table de chevet. Comme quoi, le mariage fait fuir les femmes. Et probablement les hommes aussi. » Car il est de reconnaissance publique que les hommes ont pas mal tendance à merder lorsqu’il est question de mariage. Mais bon. Heureusement que Louis ne croit plus à toutes ces conneries. Pour lui, c’est du passé. Il n’est plus du tout à la recherche de quelque chose de sérieux. De toute façon, il est trop occupé à tenter de se ré acclimater à la vie pour perdre son temps pour autre chose. « C'est dommage. Certaines personnes vivent mal le retour à la réalité. » finit par conclure Eden, et Louis comprend qu’elle veut parler de Mason. Effectivement. De toute façon, le retour à la réalité était dur pour tout le monde dans ce genre de cas. Ce n’est pas lui qui va dire le contraire. Il grimace un peu alors qu’il se rend compte qu’on approche de plus en plus du sujet sensible. Jusqu’à ce qu’Eden mette les pieds en plein dans le plat : « Comment ça s'est passé pour toi ? Je veux dire tout ça ? Enfin si tu veux en parler. » Il pince les lèvres, passe une main sur son visage. « Et bien, moi qui voulait fuir le luxe dans lequel baignait ma famille, je peux te dire que c’était réussi. Les repas de prison sont infectes, les gens sont violents, les clichés réels, les nuits très longues. Le matelas faisait à peine cinq centimètres d’épaisseur et le fait de dormir avec vue sur les toilettes de la cellule, ce n’est pas ce qu’il y a de mieux. Surtout quand il y a cette odeur infâme d'égoût qui se met à se diffuser dans la pièce au milieu de la nuit. » Il fronce le nez alors qu’il se remémore cette odeur. C’était vraiment l’une des choses les plus terribles. Une odeur putride qui réveille tout le monde au milieu de la nuit, les hurlements plaintifs qui montent de certaines cellules et les insultes qui émanent d’autres. Il y a cette impression de suffoquer, qui vient compléter cette impression d’être un mort-vivant, se trainant dans la prison, qui vient surplomber tout le monde à chaque instant d’éveil. Cette impression d’être considéré comme un déchet de la société et pourtant… « J’avais de la chance par rapport aux autres détenus. Les gardiens reconnaissaient mon nom de famille, savaient que je n’étais pas là pour viol, meurtre ou braquage à mains armées comme d’autres prisonniers. Alors j’étais plutôt bien traité. Ils espéraient sûrement recevoir un petite quelque chose de la part de ma famille si je leur disais qu’ils étaient sympas avec moi. Comme un pot de vin. Je faisais semblant de leur écrire. » Un sourire s’affiche sur les lèvres de Louis alors qu’il fixe son verre. Heureusement pour lui qu’il était malin. Sans quoi, la vie aurait été beaucoup plus dire. « Il faut dire que sinon je n’avais pas beaucoup de visite. Je n’ai vu que ma petite-amie, qui a déménagé exprès pour venir me rendre visite. Avant d’arrêter de venir me voir, mais bon. Je n’ai vu personne d’autre. » Il perd son sourire. Il a encore du mal à dire que sa petite amie n’est plus que son ex à présent. Peut-être qu’il finira par s’y faire, mais ce n’est pas pour tout de suite, visiblement. « C’était sans doute ça le plus dur. De ne voir venir personne. Mes parents ne m’ont pas simplement déshérité. Ils m’ont complètement rayé de leur vie. » Il hausse les épaules, fait comme si cela n’était rien. Mais en réalité, il avait eu beaucoup de mal à se faire à cette idée. Cela l’avait complètement dévasté.