Diego était le genre de personne qui n’aimait pas faire attendre les autres; s’il avait besoin de retrouver quelqu’un, il faisait en sorte d’être toujours à l’avance – même quand il était malade et que le métro s’arrêtait d’un coup. Qu’il pleuve, qu’il grêle ou qu’il neige, on pouvait compter sur lui pour être là à l’heure choisie, en train d’attendre les quelques retardataires du jour. Mais pour une fois, il était en train de se dépêcher pour rejoindre Bailey au Starbucks de Murray Hill, comme l’avait proposé le jeune espagnol. Comme à son habitude, il était prêt à partir bien avant la dernière minute, sac à dos et chapeau enfilés – du moins, il l’était avant que sa sœur ne secoue la tête après qu’il ait sollicité son avis. Paula étant non seulement sa jumelle mais aussi sa conseillère stylistique et relationnelle, il avait décidé de l’écouter, perdant ainsi des précieuses minutes. Il avait dû changer de t-shirt trois ou quatre fois sous le regard concentré de sa sœur, qui réfléchissait avant de l’envoyer se changer à nouveau sous les rires de ceux qui partageaient leurs chambres avec les Bueno. Une fois que tout le monde – mais surtout sa sœur – avaient validé sa tenue, il était parti en courant après avoir vu qu’il avait déjà un quart d’heure de retard sur son timing bien à lui. Il avait vite arrêté de courir, se rendant compté qu’il n’aurait pas fait bonne impression en arrivant dégoulinant de sueur après avoir sprinté sous le soleil d’un juin new-yorkais. Il se contentait de marcher rapidement, se glissant entre des inconnus bien moins pressés que lui qui étaient sur son chemin. Il se faisait de l’air avec un (autre) chapeau, espérant de tout son cœur que Bailey ne perdait pas déjà sa patience à l’attendre, tout en notant dans un coin de sa tête que pour un hypothétique deuxième rendez-vous, ce serait peut-être mieux de solliciter l’avis de Paula avant de partir.

Tout compte fait, le jeune homme n’avait pas un retard indécent, juste quelques petites minutes – du moins, il espérait que ce ne soit pas inacceptable aux yeux de Bailey. Et en parlant de celui-ci, il aperçut sa tête rousse de l’autre côté de la route, près de l’entrée du dit Starbucks. Il pressa alors son pas jusqu’au moment d’arriver à sa hauteur, encore à moitié essoufflé. « Hey! Désolé pour l’attente, j’espère que t’es pas ici depuis trop longtemps. » Il tendit sa main, ne sachant pas vraiment comment il préférait saluer les autres – il avait gentiment oublié de poser la question avant de le voir, du coup il improvisait. Diego reprit son souffle une main sur le torse, avant de se tourner légèrement vers la porte du café, le sourire aux lèvres. « Pour me faire pardonner, je peux t’offrir un café si tu veux. Sans lait, bien évidemment. » Du moins, pas pour Bailey. Il ne savait pas s’il profitait de réductions en tant qu’employé, mais ça aurait été malvenu de demander alors qu’il voulait faire pardonner son retard. « Ça va sinon? C’était pas trop loin de chez toi? » De ce côté là, Diego ne pouvait pas vraiment se plaindre – il espérait juste que le deuxième homme ne soit pas trop fatigué à cause ça.

C'était un jour de fête aujourd'hui. La Marche des Fiertés avait lieu en ville et Bailey était étrangement excité à l'idée d'en faire partie. Il savait aussi que toute cette énergie était due à la rencontre imminente de Diego. Coup double. Il ne savait pas ce qu'ils feraient, mais il voulait se confondre dans la foule qui parcourrait New-York dans la journée. Vêtu d'un débardeur à motif, avec un short, il s'était affublé d'une peinture de guerre sur ses joues et d'une casquette à l'envers. Dans un autre cas, comme un diner au restaurant du coin, il aurait fait l'effort d'une chemise et d'autres vêtements qu'il jugeait comme chic mais dans ces circonstances, un look extraverti ferait l'affaire. Fin prêt, il se mettait en route pour le quartier de Central Park, à Manhattan. Il préférait arriver en avance, être en retard pouvait donner une mauvaise impression pour une première rencontre. Il envoya un dernier message à Diego, lui informant qu'il était en route et qu'il en aurait pour une petite demi-heure. Et tout le trajet, il songea, il se demandait comment cela se passerait, qu'est ce qu'il pourrait dire pour donner le meilleur de lui-même. Ne pas se donner un genre, ne pas être hautain, ou encore étrange, être en mode 'décontracté'. S’intéresser, mais pas trop non plus. L'anxiété commençait à le submerger et c'est lorsqu'il sortit des bouches du métro qu'il respira à grand coups l'air frais du quartier de Manhattan. Il se secoua la tête, ne voulant plus y penser. Il arriva au Starbucks indiqué dans un messages du vendeur de hot-dogs. Attendant devant la devanture, il était finalement arrivé cinq minutes avant l'heure indiquée. Légèrement anxieux, il tapota du pied, attendant, regardant son portable toutes les minutes. L'heure était dépassée de cinq minutes, maintenant. Peut-être que Diego avait oublié, peut-être qu'il lui avait posé un lapin parce qu'il avait aussi rendez-vous avec un autre mec de MatchMaker ?  Il hésita à lui renvoyer un message, cela paraissait peut-être trop insistant. Non, il attendrait encore un quart d'heure et s'il ne venait pas, Bailey irait sûrement se joindre aux foules de la Gay Pride. A peine eut-il le temps de remettre son portable dans sa poche qu'il vit une silhouette s'approcher vivement. Diego. Instantanément, son visage dessina un grand sourire.

« Hey ! Non, ça fait que trois heures. » Il pouffa de rire. « Je suis là depuis à peine dix minutes, mais t'inquiètes pas et reprends ton souffle, je suppose que y'a eu un problème avec les transports ? » Des pannes, des arrêts momentanés ou indéterminés et il en passait. « Puis, l'attente en valait la peine. » Il sous-entendait clairement que Diego était vraiment charmant, peut-être même plus que sur ses photos et assez musclé. Il s'ordonna immédiatement de le reluquer et d'être plus discret pour le regarder. Il tendit sa main pour la serrer, lorsqu'il vit Diego en faire de même. Il aurait plus misé sur un bisou sur la joue en guide de salutations mais il n'allait pas relever, ne voulant pas instaurer une ambiance étrange entre eux. « Je suis toujours partant pour un café. Merci ! » Puis, s'il pouvait économiser quelques dollars, il n'allait pas refuser l'invitation. Entrant dans le café après avoir invité Diego à commencer la marche, il regarda les prix. Il remarqua que les prix avaient augmenté d'un à deux dollars de plus que dans son quartier pauvre. C'était les lois des commerces, en fonction du quartier, on payait plus ou moins cher le produit. Et chaque centime comptait pour Bailey. « Je suis à demi-heure mais j'vois pas le temps passer, puis j'ai l'habitude de venir dans ce quartier. Sinon, tout roule ! Et toi ? » La discussion banale lorsqu'on rencontrait un inconnu ; Bailey serrait des dents, ne sachant que dire. « Oh, j'me demandais, t'habites seul ? Avec ta famille ? Ou en colocation peut-être ? »

Il faisait certes chaud, mais la rougeur qui avait illuminé les joues du jeune espagnol était en partie imputable au compliment que l’américain lui avait fait. Il n’avait pas eu le temps d’y répondre avant qu’ils ne changent de sujet, mais il n’en pensait pas moins – et si tout se passait bien, il allait sûrement trouver un autre moment pour le faire. « Ça va aller quand je siroterai un bon café glacé. » Il ne savait pas vraiment ce que Bailey pensait au sujet, mais il savait très bien qu’il aurait été incapable de siroter un café bouillant sous cette chaleur, surtout s’ils marchaient en plein soleil et en pleine foule. Il se mit à répondre à la dernière question du roux alors qu’ils se plaçaient dans la queue, attendant patiemment leur tour. « J’habite en coloc, du côté du Spanish Harlem – ce qui est tout sauf cliché, tu me diras. » D’un côté, il n’avait pas vraiment fait exprès de tomber dans ce quartier-là. Il cherchait un appartement qui soit à la hauteur de leurs moyens, assez limités, et dans lequel il y aurait de la place pour Paula – donc habiter à El Barrio n’était qu’un plus. En revanche, c’était tout de même rassurant, comme s’ils avaient bien leur place dans le melting pot du quartier. « On est sept en tout, dont ma jumelle et moi. » C’était bien évidemment compliqué à gérer, mais Diego ne regrettait pas d’être tombé sur l’annonce qui les avait amenés à y emménager, loin de là. « On se douche souvent à l’eau froide, mais il paraît que ça fait du bien à la santé, donc… on ne va pas se plaindre. » Surtout avec les trois loyers de retard que les Bueno cumulaient; leur proprio était déjà assez gentil avec eux, ils n’allaient pas lui donner des raisons de les éjecter dans la rue. S’il n’avait pas testé cette expérience, il était presque sûr que dormir dans un food truck était bien plus désagréable qu’une douche froide. « Et toi? T’as de l’eau chaude, au moins? » Diego se souvenait que le roux n’appréciait pas rester chez lui, mais il n’en avait pas demandé plus – terminer sa question sur une blague lui aurait permis de rebondir dessus et de ne pas s’attarder sur des sujets sensibles. Ils avançaient peu à peu, s’approchant de plus en plus du comptoir et donc de leur commande. Comme il y avait encore quelques clients avant eux, il se tourna dans sa direction pour lui poser une autre question, n’ayant pas envie qu’un silence gênant creuse un fossé entre les deux. « J’imagine que tu bosses pas ici si t’habites à une demie-heure d’ici? J’aurais vraiment pas eu grand-chose pour moi si je m’étais ramené en retard et que je t’avais invité dans ton lieu de travail pour un premier rendez-vous. » Si ça avait été le cas, il aurait probablement creusé sa propre tombe, histoire de se cacher. « Tu sais déjà quoi commander? » Il avait sûrement une boisson de prédilection – à force, il imaginait qu’il devait bien connaître leur carte pour savoir ce qui lui plaisait – et il attendait sa réponse pour la noter dans un coin de sa tête. Il savait déjà que ce n’était pas un café au lait, c’était un bon début.

Bailey supportait bien la chaleur, si on le mettait nu sur son lit, avec un ventilateur à la puissance maximale à ses côtés et dans le noir. Sinon, il mettait de grands débardeurs, et moins il portait de vêtements, mieux il se portait. Il fallait s'adapter, sortir les lunettes de soleil, s'aérer le plus possible. Ne le quittant pas des yeux, Bailey l'écoutait avec attention. Il avait ce grand sourire qu'il ne pouvait pas défaire de son visage, et il se prit d'un fou rire lorsqu'il entendait le lieu d'habitation de Diego, le Spanish Harlem.  « Non, pas du tout cliché. » Il n'y avait qu'à voir la peau du vendeur de hot-dogs pour voir qu'il était typé, qu'il était originaires de ces pays hispaniques, comme le Mexique ou encore en Europe, avec l'Espagne. Au moins, il notait dans un coin de sa tête qu'il était bel et bien en colocation, mais la curiosité de Bailey en jouait ; en colocation avec sa famille ? avec des amis ? un garçon ? un garçon gay ? un garçon gay séduisant ? un garçon gay séduisant qui était attiré par diego ? un garçon gay séduisant qui était attiré par Diego et qui s'amusait avec Diego ? On peut se calmer. Le vendeur venait de dévoiler une information supplémentaire, assez surprenant pour le barista qui s'imaginea un gigantesque appartement où étaient logés sept personnes.  « Attends, vous êtes sept en colocation ? Ou vous êtes sept frères et soeurs ? Vous êtes genre, comme les sept nains, ou plutôt les sept espagnols. » C'était pas obligé, et le rouquin regretta ses paroles, notamment pour sortir des références Disney. Disney, c'était top secret, son guilty pleasure qu'il détestait avouer à quiconque. S'ils étaient sept frères et soeurs, c'est qu'ils avaient une grande famille, à l'opposé de Bailey qui n'avait rien, même pas ses parents. Seulement des parents adoptifs qu'il voyait rarement, seulement pour la forme tant ils étaient catholiques et fermés pour lui.  « Ouais, j'ai de l'eau chaude. Si un jour, t'as l'occaz de venir chez moi, je te proposerai de redécouvrir les joies de l'eau chaude. La douche froide, c'est triste, m'enfin, vous êtes en été alors c'est le bon moment ! » Même si son studio était petit, ne faisant qu'un trente-cinq mètres carrés, il se sentait chez lui, avec tout le nécessaire. C'était assez surréaliste d'entendre des gens qui n'avaient pas accès à l'eau chaude. « Nop, j'suis du coté du Bronx. Si t'as l’occasion de t'y promener, je pourrais peut-être bien t'offrir un café. » Il lui fit un clin d'oeil avant de lui répondre plus sérieusement. « Un café glacé aussi. Sans lait. » Le lait dans le café était une hérésie pour sa religion, bien qu'il respectait totalement les gens qui en prenaient, mais ce n'était pas quelque chose pour lui.

« La vente de hot-dogs, c'est une affaire de famille ? Ou tu penses qu'un jour, tu feras autre chose ? Je viendrais bien en goûter un, un de ces quatre. » Faudrait peut-être qu'ils parlent autre chose que boulot, mais Bailey peinait toujours à trouver des sujets de conversation avec les inconnus. « A part courir, tu fais d'autres sports ? Et j'exclus le sport de chambre. » Il ria quelque peu, histoire de détendre l'atmosphère.

La remarque de Bailey arracha un rire à Diego, qui n’aurait jamais pensé à la comparaison – maintenant que c’était dit, ça semblait presque logique, mais ça faisait longtemps qu’il n’avait pas regardé Blanche-Neige. « Presque. On est pas tous frères, mais on est quand-même assez pour être les Sept Nains. » Il n’était pas très porté sur ce film-là, donc il ignorait s’il s’agissait vraiment de sept frères, mais l’idée était bien là. « Niveau famille, j’ai que Paula heureusement. Et mes parents aussi, accessoirement, mais ils sont à 6000 kilomètres d’ici, donc j’ai peur que ça ne compte qu’à moitié. » Depuis qu’il avait quitté l’Espagne, il n’avait pas vraiment eu de contact avec des Buenos autres que Paula. Il devait en revanche avouer qu’il n’avait pas vraiment fait d’efforts de son côté pour éviter ça, donc c’était un peu de sa faute aussi. « T'es tout seul à New York, toi? » Avant d'avoir le temps d'écouter sa réponse, il se pencha légèrement sur le comptoir pour se faire entendre malgré le bruit du café dans lequel ils étaient rentrés. « Deux cafés glacés, s’il vous plaît. Un avec lait et un sans! » Il donna leurs noms à l’employé avant de mettre sur le côté, où ceux qui les avaient précédés attendaient déjà leurs commandes à eux. Il se retourna alors vers Bailey, reprenant le fil de leur discussion avant qu’ils ne passent commande. « Je viendrai joyeusement piquer ton eau chaude, pas besoin de le proposer deux fois. » Si l’idée de prendre une douche chaude sans soucis l’alléchait, l’idée de revoir le jeune roux l’était même plus – et il prenait des douches froides depuis son arrivée à New York. « Et je réclamerai mon café aussi, par la même occasion. Sans lait, je ferai bien l’effort pour une fois. » Il faut bien faire comme les Romains quand on va à Rome. Et il pouvait boire du café sans lait… si on lui donnait assez de sucre pour noyer l’amertume. « Ouais, c’est ma jumelle et moi, et pour l’instant on fait que des hot dogs. Mais crois-le ou pas, je suis assez mauvais derrière les fourneaux, donc pour tout élargissement du menu, faudra passer par ma sœur. » Il y avait bien une raison si c’était Diego qui enfilait le costume d’hot-dog géant, après tout. Faire des hot-dogs n’était pas bien compliqué, mais dès que ça demandait un peu plus de talent en cuisine, le pauvre brun ne s’en sortait plus. Il ne put s’empêcher d’éclater à rire à la fin de la question posée par Bailey. « Je ne sais pas si je le pratique assez ces temps-ci pour que ça compte, de toute façon. » Il se consolait en se disant qu’il valait mieux être seul que mal accompagné, surtout au lit. Non? « Je fais de la danse. Du moins, j’en faisais pas mal au lycée. Maintenant je suis un poil rouillé, mais de temps en temps... » Il haussa légèrement les épaules, pour dire que ce n’était pas bien grave – même si en réalité, ça lui manquait énormément. Mais comme il n’avait pas forcément le choix, il se contentait de ce qu’on lui donnait. « Je faisais essentiellement du flamenco. Toujours pour continuer dans le gros cliché sorti tout droit d’Andalousie. Et toi? » Diego aimait bien parler de lui aux autres – il aimait le fait de partager des petits bouts de son existence avec chaque réponse et chaque blague. Mais de un, ils n’étaient pas là pour qu’il raconte sa vie dans un long monologue qui ennuierait Bailey, et de deux, il avait bien envie d’en savoir plus sur lui aussi. « Qu’est-ce qui te passionne en dehors du footing? » Il aurait menti s’il avait dit qu’il n’avait pas regardé ses réponses au questionnaire du MatchMaking plusieurs fois, mais… il était sûr qu’il y avait un grand écart entre les petites croix qu’il avait tiqué et la personne qu’il était – comment était-on censés résumer toute sa vie à quelques vagues réponses?

L'histoire de famille de Diego avait l'air d'être un sacré mic-mac/bazar pour Bailey qui tentait de dreser un arbre généalogique dans sa tête, à s'y perdre. Il comprit alors que l'espagnol avait une soeur jumelle, que ses deux parents vivaient loin et qu'il avait cinq frères et soeurs qui n'étaient pas vraiment ses frères et soeurs. Et vint le redoutable moment, celui où Diego lui retourna la question. Que répondre ? Que dire sans paraitre dramatique ou inspirer de la pitié ? Il pouvait pas lui déballer comme ça, sans aucun filtre, qu'il n'avait jamais vraiment eu de famille, que les seuls parents qu'il avait habitaient dans la campagne avoisinant New-York et qu'il ne les voyait presque pas. « C'est un peu complexe. Je suis fils unique, pas de frères, ni de soeurs et des parents qui sont loin aussi alors niveau famille, ça n'a pas l'air d'être comme la tienne. » Au moins, il avait pu embellir la réalité, omettant de dire le principal sans pour autant mentir. Ses parents adoptifs étaient en soit ses parents, ses anciens tuteurs avant qu'il soit majeur. Équivalence, équivalence. « A propos du mythe de Starbucks et des fautes d'orthographe, il est à moitié-vrai. Si la tête du client ne me plait pas, je déforme son prénom. C'est injuste mais horriblement plaisant ! » Une petite anecdote au passage qu'il aimait rajouter ou dire à ses proches, afin d'apporter son petit quart d'heure de gloire. Si les gens aimaient autant aller au Starbucks, ce n'était pas tant pour le café, mais plutôt pour une question d'image et d'apparence. Chaque jour, lorsqu'il travaillait, il ne comptait plus le nombre d’adolescentes et d'étudiantes qui rentraient dans la boutique, qui commandaient leur boisson juste pour la prendre en photo, la mettre sur Instagram orné du plus beau des filtres, avant de boire que le quart du café. Quel gâchis. Mais c'était la loi du client et le temps que ces fille spayaient pour leur produit, il ne pouvait rien faire. Petit bonus qui agaçait, c'est lorsqu'elles revenaient au comptoir avec le ticket de caisse où était inscrit leur numéro de téléphone à destination de Bailey. Plot twist, comme il aimait le dire, je suis gay.


« Café et douche chaude, voilà que mon appartement se transforme à hôtel qui accueille de charmants espagnols. Quel veine ! » Un petit rire et Bailey se plaça sur le côté, attendant avec impatience sa boisson, gardant une oreille à l'affut pour entendre leurs noms lorsqu'ils seraient appelés avec Diego. Il avait du mal à cacher son sourire certain lorsque Diego lui faisait comprendre qu'en ce moment, c'était la jachère sexuelle. Il comprit aussi qu'il nétait pas du genre à se taper un mec par ci, par là, aka le contraire du barista qui se sentait soudainement honteux de courir sous les jupons de ces monsieurs. « Je vois que t'es assez chauvin ! Espagnol et fier de l'être, c'est bien ça. Moi, c'est ma couleur rousse, ma fierté. Pas mal disent que je n'ai pas d'âme. » Les mythes, légendes et rumeurs, Bailey s'en amusait toujours autant. Bailey avait du mal à parler et à s'ouvrir aux inconnus, mais il se devait de faire un effort, surtout envers le vendeur d'hot-dogs qui avait la langue pendue. « Je suis un gars assez simple. Les jeux vidéos, y'a la cuisine aussi même si j'suis pas un grand cuistot. J'adore me balader, contempler les paysages. J'adorerais voyager mais pas les moyens. Bref, c'est con à dire mais juste être avec quelqu'un et faire quelque chose accompagné, c'est important pour moi et je n'ai pas besoin de plus. » Alors qu'il n'avait pas le temps d'en rajouter une, un barista les appela, signifiant que leurs boissons étaient prêtes. Le rouquin alla les chercher, tendant la boisson à Diego tandis qu'il l'invita à quitter le café. « Ca te dit qu'on marche un peu, ou qu'on se pose quelque part ? »

Diego aimait bien parler avec Bailey. Ça lui était déjà arrivé d’avoir un premier rencard avec quelqu’un d’insupportable, avec lequel parler était plus un effort qu’un plaisir. Il n’avait aucun honte à avouer qu’il était parti en cachette, prétendant aller aux toilettes deux minutes – c’était peut-être vache, mais il était physiquement incapable de rester et garder une mine neutre alors qu’il rêvait qu’une météore écrase le restaurant pour achever ses souffrances. Avec le rouquin, ce n’était pas du tout le cas. Il ne put s’empêcher de rougir à nouveau à la mention d’un charmant espagnol – pas besoin d’être un génie pour savoir qu’il s’agissait d’un compliment qui lui était adressé. Il agitait doucement son chapeau dans l’espoir de se rafraîchir et chasser la rougeur de ses joues, qui ne faisait que s’amplifier. Pour sa défense, non seulement il faisait chaud mais en plus de ça le Starbucks était rempli de monde, ce qui rendait la chaleur encore plus étouffante qu’elle ne l’était de base. C’est en partie pour ça que lorsque Bailey proposa d’en sortir une fois leurs cafés récupérés, il accepta avec joie. « Je suis pour. C’est un poil trop étouffant ici – et je pense qu’on aura bien assez chaud après. » Il commença à siroter son café, tout en tournant du côté de la Cinquième Avenue, le regard tourné vers le roux. « Il y a Bryant Park dans le coin, c’est assez grand pour trouver un coin où se poser sans pour autant s’y perdre ou attirer trop de monde. » S’il fallait bouger, autant que ce soit pour trouver un banc à l’ombre d’un arbre sur lequel s’asseoir et papoter sans être dérangés par un bébé qui pleurait à côté ou par le soleil qui brûlait leurs crânes. « Il y a Central Park sinon, mais c’est déjà un peu loin – et c’est peut-être mieux de pas marcher en plein soleil par cette chaleur. » Et si Diego aimait bien courir… marcher dans la foule c’était moins son truc. Il y avait encore plus de monde que d’habitude, notamment à cause du public que la Pride attirait. On pouvait les reconnaître dans la foule – que ce soit à cause d’un drapeau noué autour du cou ou de leurs visages colorés, et le sourire qui s’était dessiné sur son visage depuis qu’il était arrivé au café ne faisait que s’élargir à chaque passant. « Et quant à ce que tu disais tout à l’heure... » Il profita d’un temps de réflexion pour reprendre une gorgée de son café. La fraîcheur et l’énergie que ça lui apportait lui faisait regrette de vider son verre aussi rapidement, donc il décida de se limiter de ce côté-là. « Je comprends plus ou moins ce que tu dis. » Il hésita à continuer son propos de peur de donner l’impression de tout ramener à lui, mais ça faisait toujours du bien de poser des mots sur ce qu’on ressentait – et ça ne pouvait qu’aider Bailey à mieux le cerner. « Ça fait un petit moment que je marche seul. Il y a ma jumelle, et il y a eu des mecs par ci et par là, mais... » Il soupira, avant de ramener la paille à sa bouche – il était trop occupé à chercher comment formuler sa phrase pour se rappeler qu’il voulait garder du café pour plus tard. « C’est pas pareil. C’est ma jumelle, pas mon copain. » Si Paula ne pouvait pas l’accompagner de la manière dont Bailey en parlait, c’était essentiellement parce que c’était comme une partie de lui: il s’agissait de deux personnes différentes, mais ils étaient beaucoup trop liées pour les séparer. « Donc voilà. Disons que j’ai pas envie d’oublier ce que ça fait. » Il prit sa boisson à deux mains, espérant qu’il n’avait pas causé un énorme blanc entre les deux. Était-ce trop tôt pour sortir les violons au sujet de sa vie sentimentale?« Mais tout n’est pas à jeter. Si j’avais été joyeusement casé, je t’aurais pas rencontré et on en serait pas ici. » Il lui fit un clin d’œil – ou du moins, il essaya, n’ayant jamais réussi à en faire un sans fermer l’autre œil du même coup – tout en sirotant à nouveau son café, reconnaissant de la fraîcheur que ça lui apportait.

Diego était au moins d'accord avec lui pour quitter le salon de café qui était un véritable fournaise. L'espagnol proposa un coin dépeint comme tranquille, où ils pourraient être au calme, sans être trop dérangés par la foule en ville. D'un hochement de tête, le rouquin acquiesça, étant en accord avec la proposition de son partenaire. Se mettant ainsi en route pour Bryant Park, le barista n'attendit pas pour boire une lapée de son café glacé, pouvant se rafraichir. L'été serait difficilement supportable, et avec leur président actuel, ce n'est pas comme ça que le climat s'arrangerait. Sûrement qu'après, ils se joindraient à la foule, la dynamique de tout un groupe faisait pousser des ailes, on se sentait invincibles, prêts à tout. Diego reprit la parole, sous l'oreille attentive de Bailey qui essayait de comprendre ce qu'il disait et il eut bien du mal, ayant l'impression que l'espagnol parlait par codes. Puis, en cinq minutes, - vu qu'il était long sur la détente-, il comprit ce que le vendeur de hot-dogs voulait dire. En guise de sous-entendu, Bailey ne lâcha qu'un « Hormis dans Game Of Thrones, tu peu faire plein de choses avec ta soeur, mais pas tout, c'est sûr. » Il lâcha un petit rire, baissant la tête pour esquiver son regard. Cela ne dura quelques instants, une autre gorgée de café glacée et Bailey tourna de nouveau sa tête pour contempler l'espagnol. « Au moins, t'as des valeurs. J'en ai connu des mecs qui trompaient leur nana, sans vergogne. Ou pire, à mener une double vie. » Il soupira, rien qu'en pensait à certaines histoires qu'il avait vécu avec d'anciens hommes qu'il considérait comme des "plans culs". « M'enfin, je préfère les plaindre, c'est plutôt triste. » En parlant de ça, il préférait plutôt convrser d'autres choses, s'ils venaient à parler de tous les maux de ce monde, Bailey serait d'humeur dépressive et en ce jour de marche des fiertés, la joie devait plutôt surplomber de loin le reste.

En quelques minutes, ils arrivaient en fin à Bryant Park, et d'un signe de tête, le rouquin proposa à son compère de s'installer sur un banc à l'ombre, fort heureusement libre. « Objectivement parlant, c'est quand même dingue qu'un mec aussi... beau que toi soit libre. Tant mieux pour moi, cela dit. » Il eut un grand sourire, assez fier, bien u'il s'était contenu. Il aurait pu dire sexy, baisable ou charmant ou d'autres adjectif plus ou moins vulgaires mais beau suffisait à décrire le Diego. « La Gay Pride, c'est toujours à double-tranchant, j'sais pas ce que tu en penses ? Voir tous ces gens heureux, mains dans la main, c'est vrai que c'est beau à voir.. mais on ne devrait pas avoir ça, car on devrait être accepté comme tous les autres dans la société. » Il but de son café glacé, assez fier de pouvoir aborder un sujet plus sérieux. Cela pouvait aussi prouver qu'il savait réfléchir malgré qu'il n'ait pas fait des études. « On se joindra à la foule ? »

Diego était ravi de l’opportunité de s’asseoir à l’ombre – et la présence de Bailey était un avantage non négligeable. Au contraire, quitte à choisir entre les deux, il aurait sûrement choisi la deuxième option. Après tout, de l’ombre il y en avait de partout, tous les jours. De Baileys, il n’y en avait qu’un. Donc le choix était très vite fait. En revanche, la fraîcheur apportée par la couverture que l’arbre offrait n’était pas suffisante pour calmer la rougeur de son visage. Malheureusement pour lui, il rougissait très facilement et très rapidement, et ça allait de son front jusqu’à ses joues. En somme, ça passait difficilement inaperçu, ce qui le gênait, ce qui le faisait donc rougir encore plus violemment. Il agita légèrement son t-shirt dans le vain espoir de se rafraîchir un petit peu, mais ça n’aidait pas vraiment dans les situations du genre. Il le regardait du coin de l’œil, un sourire collé sur ses lèvres qui ne semblait pas près de partir. « À toi de me le dire. Encore une fois, on est dans le même bateau. » Si le rouquin n’avait peut-être pas l’allure d’un mannequin – non pas que Diego pensait l’avoir, bien au contraire – il dégageait quelque chose qui lui aurait donné envie de se retourner pour mieux le voir une deuxième fois, même en pleine rue. Le brun se mit à siroter sa boisson en réfléchissant à la question que Bailey était en train de lui poser. S’il n’avait jamais réfléchi à la question de la sorte, il n’avait pas besoin d’un temps de réflexion trop important. « Hmm… C’est vrai que d’un côté, ç’aurait été mieux si on en avait jamais eu besoin. Mais de l’autre, ça risque de ne jamais arriver – du moins, pas de notre vivant. » Il prit un instant pour poser sa boisson à côté de lui, maintenant qu’il l’avait finie. « Et puis, en règle générale y’a tellement de joie et de bonne humeur que… j’sais pas. Mais pour une après-midi, je me dis que ce n’est pas parce que le monde est rempli de connards que notre vie est nulle pour autant. J’sais pas si tu vois le truc? » D’une certaine manière, Diego avait cette approche pour le reste de sa vie, et pas uniquement au sujet de la Pride. Quand quelque chose était beaucoup trop blessant ou douloureux, il le décortiquait pour se concentrer sur ce que ça pouvait lui amener de bien. Le défaut de cette technique était que la claque qu’il se prenait quand il ne pouvait plus cacher sa tête dans le sable n’en était que plus forte, mais il ne pouvait tout simplement pas en faire autrement. « Et toi, t’en penses quoi? » Il savait très bien qu’il avait l’habitude de monopoliser la parole, mais il était réellement intéressé par ce que Bailey pouvait avoir à dire. Après tout, il n’était pas venu pour s’entendre parler, bien au contraire. « Et si t’es partant, je suis plus que d’accord pour rejoindre la foule. J’espère juste que t’es prêt à danser malgré la chaleur. » Diego était toujours le premier à danser, même sous quarante degrés, en plein soleil, entouré d’une foule bien trop épaisse pour laisser passer de l’air. Mais pour la première fois, au moins, il avait quelqu’un avec qui danser. « Et si la danse c’est pas ton truc… On trouvera bien autre chose à faire. Rien que parler sur un banc, c’est déjà assez pour un bon rendez-vous avec toi. »  Il haussa légèrement les épaules en souriant, pour lui montrer que ça ne le dérangeait vraiment pas. « À c’propos ça va, pas trop déçu pour l’instant? » Il aurait beaucoup moins rigolé si Bailey avait répondu que oui avant de prendre ses clics et ses clacs et partir sans dire au revoir. Mais pour l’instant, son sourire illuminait toujours son sourire.

L'échange était sans répit, aucun silence n'était établi, ou alors des légers, sans aucune gêne, ni angoisse. Diego prenait le relais de la parole, exposant son point de vue sur le sujet, sur la Gay Pride. Forcément, Bailey s'y attendait, l'espagnol faisait partie de ces éternels optimistes tendant à la na!naïveté d'un monde bon et meilleur, et adepte de la théorie du "s'il arrive un malheur, il faut en voir le bon coté". Ce genre de mentalité, ça faisait rire le rouquin. Pas en tant que moquerie, mais parce qu'il était envieux, il aimerait penser la même chose mais il ne le pouvait pas à cause de son passé. « La vie, c'est de la merde. » déblatéra-t-il brutalement, avant de se reprendre dans un petit rire. « Je suis extrême, je l'avoue... La vie n'est pas totalement de la merde quand y'a des gens comme toi qui existent. » Il le contempla, lui offrant un doux sourire, presque renfrogné, avant de remettre sa paille entre ses lèvres et boire une nouvelle fois de son café glacé. Après quelques gorgées avalées, il reprit la parole « J'en pense pas grand chose, le temps que les gens sont heureux, c'est le principal, non ? » Il n'avait pas envie de se casser la tête, à exposer des théories fumeuses et invraisemblables, reconstruire un mode avec des "si". L'essentiel, c'était ce qu'il vivait en ce moment-même. Point barre. Lorsqu’il reprit sa paille dans sa bouche, il s'aperçut avec tristesse qu'il ne restait presque plus rien ; il ne se rendait pas compte de la quantité de café qu'il ingurgitait, la café était tellement agréable qu'il pouvait en boire à longueur de journée - et c'est ce qu'il faisait parfois.

Tout sourire, il déclara un « Non, ça va pas trop, c'est catastrophe, je pense te laisser seul à ce banc et courir très loin. » Il lui adressa un clin d’œil, avant de se lever du banc pour aller jeter son gobelet dans la poubelle d'à côté. « Je suis toujours partant pour danser. » C'était un de ses trucs dont il ne se vantait pas mais qu'il adorait faire ; danser, se trémousser sans aucune raison, logique ou chorégraphique. Danser, ça défoule, ça apaise en même temps, c'est libérateur. Il faisait signe à Diego d'y allr, commençant à marcher pour rejoindre la foule au loin, accompagnée d'une musique forte et joyeuse. Se joignant à la foule, il se retrouvait aussi explosé en plein soleil, brulant à cette heure de l'après-midi. Certains s'étaient déshabillés, se retrouvant torse nu et sans gêne, Bailey en fit de même, se débarrassant au bout de quelques minutes de son débardeur pour apparaître torse nu. « Tu m'excuses mais il fait trop chaud. » Commençant à se remuer pour être en rythme avec la musique, il n lâcha pas Diego du regard, lui adressa constamment un grand sourire. « Ah oui, je t'interdis de mater les autres garçons. Après tout, on et en rendez-vous ! » Il lui tira la langue, riant joyeusement, content de participer à cette Pride.