Son rendez-vous MatchMaker s’est plutôt bien passé. Pas non plus l’extase ou le coup de foudre, mais ce n’est pas ce que recherche la blonde. Après deux histoires d’amour compliquées qui lui ont laissé un goût amer dans la bouche et ce nouveau rôle dans la célèbre comédie musicale Chicago qui lui ouvre - enfin – les portes de Broadway, Lexie n’a pas en tête de s’engager dans une relation longue qui lui demanderait bien trop d’effort. La jeune américaine – à presque trente ans on est encore jeune – ne cherche qu’à s’amuser. Surtout ce soir, avec ce beau brun qu’elle embrasse fougueusement devant la porte de sa collocation. Le vin blanc dégusté durant tout le repas lui est monté à la tête, juste assez pour effondrer son inhibition et son insécurité mais pas trop pour ne pas se ridiculiser et rendre son repas sur cet homme séduisant. Non pas qu’elle compte le revoir, mais Lexie a une réputation à tenir et ne voudrait pas gâcher ce qui semble annoncer une délicieuse nuit en perspective. Tout comme le prouve la main du jeune homme qui se fait insistante sur ses hanches, à travers le tissu de sa robe dorée. Ou la manière qu’il a de la plaquer contre le mur. Dans un rire discret, elle le repousse gentiment, non sans lui envoyer un œillade qu’elle espère engageante. « Laisse-moi le temps de trouver les clés. Et on pourra continuer cette … charmante discussion. » Après un temps relativement long à farfouiller dans son sac, tout en sentant les caresses insistantes du bel étranger sur la cambrure de son dos, elle peut enfin ouvrir la porte. Il est assez tard et normalement ses colocataires sont dans les bras de Morphée ou bien dehors à faire dieu sait quoi.

C’est tout du moins ce qu’elle pense, ou elle n’aurait alors pas repris cette danse effrénée et sensuelle, déboutonnant d’une main d’experte la chemise du jeune homme, tandis qu’il fait glisser la fermeture de sa robe, le contact froid du petit bout de métal contrastant fortement avec sa peau brûlante. Leur bouche ne se quittant jamais plus de quelques secondes, leur souffle chaud se mélangeant comme une promesse d’un plaisir partagé qui ne saurait tarder. Enfin, jusqu’à ce que Lexie réalise qu’ils ne sont pas dans le noir, fait étrange quand tout le monde est censé dormir, et qu’ils ne sont pas exactement seuls. « Oh salut, Chris. » S’empresse-t-elle de faire en s’éloignant instinctivement du bel homme, ses joues toutes roses pour souligner son état d’ébriété mais également la gêne qui se répand en elle face à la dernière personne qu’elle aurait voulu voir, là tout de suite.

Si Chris est toujours réveillé, c'est simplement parce que son rythme biologique est totalement messed up. On ne peut pas vraiment se coucher à pas d'heure tous les jours de semaines pour cause de performance et se coucher à une heure décente les jours de repos comme si de rien était. L'excitation qui suit généralement les représentations ne le quitte pas avant quatre ou cinq heures du matin. Alors assez naturellement, il épluche fébrile le catalogue Netflix, avec toujours cette même appréhension d'en avoir fait le tour. Et c'est sûrement le cas. Lorsqu'il lit les descriptions de certains films, ils se demande surtout comment certains réalisateurs ont pu penser qu'il s'agissait là d'une bonne idée. Il finit par se décider pour une sorte d'émission britannique sur les plus belles créations architecturales du monde. Son père serait sûrement étonné de le voir s'intéresser à ce genre de choses. Il serait déçu d'apprendre qu'il préfère en critiquer la décoration intérieure qu'en admirer les exploits techniques.

Cette mauvaise idée l'a donc poussé à prendre en otage le canapé du salon, et un grand bol de glace. Soirée chill interrompue par une Lexie qui rentre de soirée. Accompagnée. Chris tourne instinctivement la tête avant de se couvrir les yeux dans un geste théâtral qui manque clairement de sincérité. Dans d'autres circonstances il aurait ricané, balancé un commentaire amusé, mais il est pris de court par ce qu'il ressent et qui est bien loin de l'amusement en réalité. Il a beau tenter de rationaliser, de se tenir à sa version de l'histoire dans laquelle il est tout à fait possible de vivre avec son ex, il lui est difficile d'ignorer le pincement au coeur qu'il ressent à l'idée de voir Lexie ramener un type qu'il ne connaît ni d'Eve ni d'Adam dans leur appartement.

Par réflexe, il finit par jouer le jeu cela dit, les crises de jalousie n'ont jamais été son truc. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils ont rompu. Si il y réfléchit bien, ce n'est pas bien grave, et surtout il n'a pas envie d'entendre Dasha lui rappeler qu'elle leur avait bien dit que ce serait bizarre. « Oh Lexie salut, ta mère a appelé. » Il met le documentaire sur pause et jette un regard suspicieux au compagnon de son ex avant d'afficher un sourire suivi d'une poignée de main faussement chaleureuse. « Chris, le coloc, enchanté. Je vais pas vous embêter plus longtemps. Vous souciez pas de moi. »

Bizarre, vous avez dit bizarre … ? Il n’y a qu’un seul mot pour désigner cette situation pour le moins particulière. Ou non à bien y réfléchir, une bonne trentaine de mots différents défilent dans la tête de la blonde, qui si elle était un peu alcoolisée devant la porte de son appartement, a dessoulé bien vite. Rien de tel que de tomber nez à nez avec son ex alors qu’on embrasse un autre homme pour faire redescendre la tension délicieuse des corps entremêlés, et sans doute tout désir sexuel. L’idée même de s’épanouir dans les bras du charmant inconnu qu’elle vient à peine de rencontrer est déjà bien loin de ses pensées et sa fine main le repousse gentiment mais fermement lorsqu’elle sent les doigts chauds du brun recommencer leurs caresses sensuelles sur son dos. Elle aurait pu et - peut-être même du - ignorer la présence du meilleur ami installé confortablement sur le canapé, bol de glace à la main, tout comme elle aurait pu faire fi du geste exagéré – digne d’un comédien de soap. Et d'ailleurs, heureusement qu’elle connait le talent de Christopher sinon elle aurait eu de sérieux doute à la vue de ce geste si faussement interprété. Sauf qu’il ne les laisse pas à leur affaire et qu’il engage la conversation, sadisme ? Ennui ? Jalousie ? elle serait bien infoutue de le dire la blonde aux joues bien plus roses que d'ordinaire. Et en plus il parle de sa mère, la blonde, suspicieuse ne peut s’empêcher de penser à un coup bas, après tout cela fait plus de dix ans qu'elle ne l'a pas vue sa mère. Mais elle connait Chris, ou du moins pense le connaître, aussi bien que les paroles de toutes les chansons de Wicked, et jamais il n’oserait se servir de cela pour la blesser. Il y a quelques mois, quand ils étaient encore ensemble, Lexie aurait sauté sur ses grands chevaux en entendant de tels mots, à coup d’insultes et de crises très inquiétantes. Mais voilà, ils ne sont plus ensemble, et toute cette colère, cette jalousie, cette rancœur qu'il ne méritait pas, semble être retombée comme un soufflé. C’est pourquoi elle reste calme et le fixe de ce regard interrogateur, le sourcil relevé et la main sur la hanche. « C’est ma sœur qui lui a passé mon numéro, ça lui ressemblerait bien. Bref, qu’est-ce qu’elle voulait ? Même si je m'en fiche... » Murmures dans sa barbe inexistante, Lexie panique presque.

Oublié le coup d’un soir, et ce n’est que lorsque Christopher tend sa main parfaite vers le brun à ses côtés que sa présence lui revient en tête. « Oups, pardon, j’en oublie toute politesse. » Les mots fusent alors que le brun lui rend ce salut, ne se doutant sans doute pas un seul instant de ce qui est en train de se jouer juste sous son nez. « Christopher, je te présente euh … Tom, charmant jeune homme que je viens de rencontrer. Et Tom, voici Christopher mon … euh mon … » Mon quoi ? Et les mots se coincent dans sa gorge, pourtant si habituée à en sortir des mots, mais bien sûr jamais quand il le faut et souvent beaucoup trop. Parce que si elle avait pris deux minutes pour s'arrêter de bouger et réfléchir, elle se serait déjà posée cette question depuis un bon moment... Qu’est-ce qu’il est aujourd’hui Chris pour elle : son coloc comme il l’a simplement dit sans pouvoir apercevoir le pincement au cœur de Lexie. Ou bien son ex, son meilleur ami, une ancienne connaissance ? Et eux qui disaient que rien ne changerait, et s’ils s’étaient trompés ?

Le tout prend des allures de conversation tout à fait normale, ce qui doit vraiment déstabiliser le jeune homme qui s'apprêtait à passer à l'étape supérieure avec Lexie Warren. Chris de son côté hoche la tête, en accueillant les informations sur la mère de Lexie et sa sœur comme il l'aurait fait en pleine journée en préparant une pizza maison. Toute la famille y passe, puis le temps des présentations devient vite une étape que la blonde, tout comme son charmant amant du soir, aurait sans doute préféré éviter. Son quoi exactement ? Son meilleur ami aurait été la réponse adéquate à cette question épineuse, mais ce n'est pas vraiment ce qu'ils ont en tête lorsqu'ils songent à leur relation. Pas inconsciemment en tout cas. L'alcool n'arrangeant rien à l'affaire, Chris qui a fait l'erreur d'aller boire un verre en sortant du boulot, répond le plus naturellement du monde comme si la situation était parfaitement normale. Ce qu'elle n'est pas vraiment, mais Chris nous contredirait sur ce point. « Son ex petit ami, meillleur ami, absolument pas jaloux, totally cool with it. » Ce qui n'est objectivement pas le cas. Ni pour Chris, ni pour le jeune homme qui commence probablement à ce se demander si les artistes de Broadway ne sont pas tout simplement fous à lier.

Voyant que son explication ne passe pas vraiment, Chris s'enfonce en tentant de s'expliquer avec une aisance qui n'est que l'écho des nombreuses conversations qu'il a eu à ce sujet avec ses autres colocataires. Etrangement, ça ne prend pas aussi bien auprès de cet inconnu qu'avec Dasha. « On s'est quitté en bon termes. Mais je te rassure, Lexie a sa propre chambre. Il lui arriver encore de me voler ma salle de bain c'est vrai, mais seulement quand elle est pressée ou que notre autre coloc passe des heures sous la douche. Rien de bizarre, vraiment. » Son rire nerveux, vient achever de convaincre le jeune homme qu'il faut fuir la situation au plus vite. Chris hausse les épaules, et tandis que le type prend congé de façon absolument gênante, il se laisse tomber sur le canapé. « Pourquoi est-ce que les gens voient toujours le mal partout ? L'amitié fille garçon est un concept définitivement trop moderne pour 2018. »