On ne peut pas vraiment dire qu'Andrea soit doué pour cuisiner quoi que ce soit d'un tant soit peu élaboré. Oh, il n'est pas le pire cuisiner du monde, et il faut bien reconnaître qu'à sa décharge, personne n'a jamais réellement émis le souhait de lui apprendre. Chez lui, de par son père notamment, cet être charmant et plein de bons principes, l'éducation machiste était de mise ; les femmes à la cuisine, les hommes au travail. Pas qu'Andrea n'adhère le moins du monde à cette vérité vieillotte, il a toujours trouvé qu'il serait bon pour sa mère de prendre son envol, de quitter cette famille de fous pour retrouver sa liberté et pour occuper ses journées à d'autres choses. Mais apparemment, la réalité imposée par son mari ne déplaisait pas totalement à Charlotte Kennedy qui s'est toujours fait un principe majeur de tenir sa maison. Les quelques fois où Andrea proposait son aide, son père ne manquait pas de lui rappeler son rôle. Travailler, faire des études, rapporter de l'argent. Si Henry le voyait aujourd'hui, en train de batailler avec une casserole d'eau bouillante et une poêle de sauce carbo, il se moquerait sans aucun doute de lui. Il y a un million de raisons qui pourraient pousser le père Kennedy à se moquer de son fils, en réalité. Sa nouvelle carrière, ses hésitations eu égard à son chemin de vie, ses angoisses, l'abandon de ses années de fac si près du but - et tout le reste, vraiment. Rien de ce qui constitue Andrea aujourd'hui ne plairait à son père, mais contre toute attente, le garçon autrefois si malléable et persuadé qu'agir comme son père l'y invitait était la bonne solution avait renoncé à se préoccuper des attentes parentales. Tout juste avait-il parfois quelques nouvelles de sa mère qui le suppliait d'une voix faiblarde de revenir à la raison et de passer le voir de temps en temps.

Chose qu'Andrea ne ferait jamais. Du jour où il avait quitté la faculté de Yale et le domicile de ses parents, Andrea avait rompu tout contact avec son père. Il s'était refusé à prendre ses appels, il s'était interdit d'ouvrir ses textos ou d'écouter ses messages. Henry avait fait ce qu'il avait pu pour impressionner son fils, poussant le vice jusqu'à clôturer les comptes, mais Andrea, habitué aux manipulations paternelles, avait pris les devants en récupérant ses économies avant que l'influant père Kennedy ne puisse y faire quoi que ce soit. Jamais ne risquerait-il d'approcher sa mère pour tomber nez à nez avec son père. Jamais.

Pour l'heure, il est affairé à la cuisine et tente donc, tant bien que mal, de cuisiner des pâtes à la carbonora comestibles pour l'ensemble de l'appartement étrange qu'ils habitent tous. Rien ne sent le cramé - pour l'instant - et il a même réussi à ne pas se tâcher - il a trouvé un tablier dont il ignore qui est le propriétaire, suspendu à la porte de la cuisine - et c'est presque un miracle. Aussi, quand Newt passe la porte de la cuisine, il s'autorise un sourire victorieux - et peut être prématuré. « Ce soir, c'est moi qui cuisine ! » lance-t-il d'une voix presque chantante. Presque.