hate is foolish. and love is always wise.
« Elle est tellement calme. » songea t’il.
James regarda sa femme, puis sa fille aînée. La fillette jouait sur le canapé, avec sa mère. Charlotte n’avait jamais été calme. Et certainement pas alors qu’elle était un nouveau-né. Mais Marjorie… Elle gardait ses grands yeux ouverts, alors que la plupart des bébés de trois mois passaient leur temps à dormir. Elle aurait des yeux certainement les yeux bruns, comme sa mère et sa sœur, bien que pour l’instant ils soient encore bleu marine. Il posa une main sur le ventre du bébé et elle réagit à son contact en le fixant intensément. Il lui sourit et elle sembla en faire de même. Ça ne ressemblait qu’à un vague rictus, mais c’était une réaction qui le rassurait. Sa petite dernière n’avait pas de problème. Mental ou autre. Laura, sa femme, n’avait de cesse de le rassurer. Marjorie serait comme son père, alors que Charlotte était comme sa mère. James se forçait à le croire.
Cela faisait déjà plusieurs années qu’ils vivaient à la Nouvelle Orléans. James se disait de plus en plus souvent qu’il risquait d’être muté à l’autre bout du pays. Mais pour l’heure, il se promenait tranquillement dans le French Quarter avec Marjorie. Charlotte était à son cours de judo. Rien ne semblait pouvoir canaliser la fillette de dix ans. Alors qu’à seulement six ans, Marjorie passait tout son temps dans les livres. Elle savait déjà lire depuis près d’un an, poussée par sa sœur et par ses livres plus intéressants que les siens.
Il sorti de ses pensées et réalisa qu’elle n’était plus près de lui. Il l’appela mais sans réel succès. Il n’y avait pas grand monde à cette heure ci. Il la repéra rapidement. Marjorie était plantée devant un groupe de musiciens de rue. James ne l’avait jamais vue si concentrée et si fascinée par quelque chose.
« Je peux en avoir un comme ça, moi aussi ? »
Marjorie lui montra le violon. Le vieil homme qui en jouait, ses cheveux gris contrastant avec sa peau sombre, fit un clin d’œil à l’enfant et lui fit signe d’approcher. Elle ne se fit pas prier et il lui tendit l’instrument, la fillette écarquillant les yeux d’émerveillement. James voulut protester mais le musicien lui fit signe de se taire. Instinctivement, elle parvint à le positionner, même si le violon était bien trop grand pour elle.
« Tu me le donnes ? »
« Pour l’instant, il est trop grand pour toi. Mais si tu me promets que tu vas apprendre et que tu reviens me voir, je te le donnerais, c’est promis. »
Il s’avéra qu’elle était une réelle prodige. Elle apprit si vite, qu’en trois ans, elle jouait parfaitement et deux années plus tard, elle pouvait reproduire n’importe quelle musique après une seule écoute. La famille Ryan avait aussi déménagé deux fois pendant ces cinq années. A Hawaii, puis Philadelphie. Mais Marjorie ne s’était jamais habituée. Elle était une enfant de la Nouvelle Orléans et l’avoir emmenée ailleurs… Elle s’ennuyait, tout simplement. Elle était une brillante élève, toujours le nez dans ses bouquins, et son temps libre à pratiquer le violon.
« Bonjour ma chérie. »
James lui tendit une tasse de chocolat chaud, comme tous les matins. Et réalisa qu’elle avait quelque chose à lui dire.
« Je t’écoute. » lui dit avec un sourire. Elle lui ressemblait tellement au niveau du caractère, que souvent, il avait presque envie d’en rire.
La fillette se pencha, attrapant quelque chose dans son sac, puis le posant devant son père. James haussa un sourcil en lisant la feuille. Il ne l’avait pas vu venir. Mais il n’était pas vraiment étonné.
« Tu en es sûre ? »
Marjorie hocha la tête. C’était réellement ce qu’elle voulait.
Moins d’un mois plus tard, elle déballait ses affaires dans sa chambre à l’internat d’une école privée de la Nouvelle Orléans. Sa mère retenait ses larmes, Charlie semblait en colère contre elle et leur père… Il n’avait pas pu venir. Il avait eu une promotion, ce genre de promotions qui vous fait déménager à Washington et qui vous prend tout votre temps, même si votre petite dernière entre dans un pensionnat. Parce qu’elle l’a voulu.
« Je t’appellerai tous les soirs, mon petit cœur. »
Marjorie songea soudain qu’elle ne pourrait plus se blottir contre sa mère tous les soirs. Elle se demanda soudain si c’était une si bonne idée qu’elle avait eue. Ça n’avait pas fait déménager ses parents à la Nouvelle Orléans. Sa mère et Charlie allaient rejoindre le père des filles d’ici deux à trois semaines, à Washington. Elle les embrassa toutes les deux, les regardant ensuite remonter en voiture de sa fenêtre, les larmes aux yeux. Puis elle prit son violon et se mit à jouer…
Marjorie regarda le SMS de Charlie, exaspérée. Elle ne lâchait pas le morceau. Mais non. Elle irait en fac d’histoire, et pas au conservatoire. Elle avait déjà admise à l’université de la Nouvelle Orléans, et il était trop tard pour tenter le concours d’entrée du conservatoire.
Il faisait si beau en ce début de printemps. Les balcons du French Quarter étaient fleuris à nouveau. Elle tenta de se souvenir où elle avait vu le vieil homme. Elle ne voulait pas qu’il lui donne son violon, mais elle voulait qu’il l’écoute jouer. Qu’il soit fier de la vocation qu’il avait fait naître. Elle finit par le repérer. Il lui sembla plus vieux, plus fatigué. Douze ans plus tard, ce n’était pas très étonnant. Elle se rapprocha doucement et il leva la tête, lui faisant un petit clin d’œil. Elle sortit son propre violon et se mit à jouer avec le musicien. Andre, apprit elle par la suite. Elle joua près d’un heure, jusqu’à ce qu’Andre décide de faire une pause déjeuner.
« J’ai tenu ma promesse. » lui dit elle, persuadée qu’il ne souviendrait plus d’elle.
« Au-delà de mes espérances. » répondit il avec un accent typiquement sudiste, tout en riant.
Il l’emmena dans un petit restaurant et elle gouta le meilleur jumbalaya de sa vie. Andre ne fut même pas impressionné. Il la laissa terminer son repas puis le tendit son violon.
« Oh non non non ! Je ne suis pas venue pour le violon. Je voulais juste jouer avec vous et vous remercier. Pour m’avoir donné le gout de la musique. »
« Je voulais te remercier aussi, gamine. Je pensais que la musique allait disparaitre avec le temps mais avec toi, je me dis que tout n’est pas perdu. Donne-moi ton numéro de téléphone, je te filerais mes partitions, je sais que tu en feras bon usage. Je te garde aussi le violon. Il appartenait à mon grand-père, et il n’était déjà pas flambant neuf. Je sais que tu changeras d’avis. »
Elle s’essuya les yeux, restant à l’arrière de la procession, le violon à la main. Ils venaient de quitter l’église, et tout le monde dansait dans la rue en se dirigeant vers le cimetière. Elle aurait voulu pouvoir danser avec eux, mais elle avait une boule dans la gorge. Elle venait de rentrer d’un an en Australie, où elle avait étudié à Sydney. Elle ne s’attendait pas à recevoir un coup de fil. La fille d’Andre. Il avait fait un AVC. Après deux jours dans le coma, il venait paisiblement de s’éteindre. Marjorie avait pleuré pendant une journée entière. Elle était restée en contact avec lui, et sa fille, Alesha, lui avait dit qu’il voulait lui léguer son vieux violon. Elle s’était excusée mille fois, voulant le refuser mais Alesha avait ri en lui disant que l’instrument finirait par être perdu et que, quand bien même, il était pour la jeune femme et personne d’autre.
Et elle était donc là, aux obsèques d’Andre, à jouer un air entrainant qu’il adoré et qui, trouvait-elle, ressemblait au vieux musicien. Elle ne s’arrêta que lorsque la tombe fut refermée, Andre reposant enfin dans sa dernière demeure. Alesha s’approcha d’elle, lui proposant de se joindre à eux. Mais Marjorie refusa poliment. En quittant le cimetière, elle décida de jouer au loto.
Marjorie posa une main sur sa bouche. C’était impossible. Elle regarda à nouveau le journal puis son ticket. Non, non, non. Ce n’était pas possible. Elle ne venait pas de gagner le gros lot. Elle allait se réveiller. Assise en tailleur sur le tapis de son salon, elle pinça.
« Aie ! » lâcha t’elle avant d’éclater de rire.