Un roadtrip, ça n’aurait jamais été quelque-chose que Tessa aurait vraiment pensé à faire, seule avec elle-même. Non pas pour des raisons pratiques, parce qu’elle n’avait pas son permis de conduire ou parce que sa voiture était trop vieille pour tenir la distance – clairement, c’n’était pas le monde en lui-même, injuste habituellement, qui lui posait des limites. C’était sa propre peur à la blonde, surtout ; peut-être parce qu’elle regardait trop de séries policières, mine de rien, et aussi parce que ça n’avait jamais été un trait de caractère que ses parents ou son enfance avaient vraiment développé. Chez les Dyer, les voyages avaient été limités à des zones connues, visitées et revisitées tous les ans, jamais très loin de Trenton et des paysages là-bas, qu’elle connaissait si bien. Peut-être que si Aodren et elle n’avaient pas foncé plein sud tout de suite, ils auraient pu même, retrouver quelques brins d’ambiance de sa ville natale ; c’était même passé par la tête de la blonde, comme idée, l’fait qu’ils pourraient bien ne pas passer bien loin d’où elle était née, de la ville dans laquelle elle avait grandi, et de la maison dans laquelle ses parents vivaient. Mais non, non, définitivement non. Elle n’était pas prête à se pointer chez eux, presque sans crier gare, pour leur annoncer qu’elle était partie en vacances, pendant deux semaines, dans un roadtrip avec son petit-ami. Un homme dont ses géniteurs n’avaient que rarement entendu parler, et dont ils n’avaient sûrement jamais retenu la mention ; oui, ça faisait dix ans que Tessa connaissait Aodren, et la raison pour laquelle c’était si bien comme ça, elle s’disait, c’était surtout parce qu’il n’l’avait jamais connue, en tant que Tessa Dyer, fille de ses parents, gamine étouffée par l’omniprésence de ceux-ci, selon les instants. De son côté alors, la jeune femme avait fait en sorte d’ignorer l’état du Maine sur les cartes qu’elle avait dépliées, et les petites livres de voyage qu’elle avait absolument tenu à acheter, comme s’ils venaient d’embarquer dans un avion, destination l’autre bout du monde. Non, ils étaient toujours aux Etats-Unis, mais puisque la géographie n’avait jamais été la matière scolaire captivant l’esprit de la Dyer, celle-ci avait opté pour l’option de facilité ; et puis, ils faisaient un roadtrip, l’idée c’était quand même de s’laisser un peu porter par le hasard, les tentatives, les envies du moment, bien plus que par les habituels chemins empruntés par tous les autres touristes. Pour le coup, en atteignant la Floride, ils n’s’étaient pas rendus droit vers les seules villes qui ‘en valaient la peine’ (ou étaient supposées en valoir la peine) ; on n’parlait pas beaucoup de Clearwater, mais c’était vers cette destination que tous les deux, ils avaient jeté leur dévolu pour voir la mer. Et quelle mer. Et quelles plages. Techniquement, c’était l’océan Atlantique, c’était la même ‘mer’ que celle qu’on pouvait voir à New York, entre les îles de la ville. Mais ici, ici, c’était totalement différent ; alors que Tessa aurait aisément passé son temps à râler sur le climat beaucoup plus capricieux et intransigeant dans cette région, ses pensées étaient bien loin, fallait croire, du petit carré de ses habitudes. Tessa, elle aimait New York pour son énergie, sa vie, sa folie ; et aussi pour son climat, le fait qu’il y ait quatre saisons en ville, et que l’hiver soit souvent accompagné d’épaisses couches de neige bien blanches et belles. Pour des vacances, évidemment, que la Floride semblait être un endroit idéal ; la blonde savait déjà qu’en remontant, ils passeraient par Orlando – c’était le stop indispensable, elle en crèverait de cœur brisé s’ils n’y allaient pas. Disneyland ? Le nouveau parc d’attraction sur Harry Potter ? Universal Studios ? Ouais, elle espérait bien qu’Aodren était mentalement préparé – il avait dû l’savoir, qu’il avait embarqué miss touche-à-tout dans ses vacances, et non pas madame responsable.

Au moins, elle ne manquait pas d’entrain ; c’était techniquement épuisant, un roadtrip : ils passaient de nombreuses heures en voiture, n’restaient que peu de temps au même endroit, pour pouvoir profiter au maximum de tout ce qu’ils essayaient d’atteindre. Parfois, entre les grandes villes, le paysage n’était composé que d’une longue ligne droite qui ne laissait entrevoir aucune sortie à la solitude. Heureusement qu’ils étaient en bonne compagnie, hein ? Ou Tessa, au moins, elle était persuadée d’être avec la seule personne qu’elle aurait pu vouloir avec elle. Le seul défaut à ce petit voyage, c’était l’absence des chatons ; ils lui manquaient terriblement, plus qu’elle n’pourrait l’admettre, et plus qu’elle n’aurait cru un jour avoir à le dire. Elle qui n’avait pas grandi avec des animaux – elle qui avait parlé, au tout début, d’au combien ce serait normal de les faire adopter une fois qu’ils seraient en âge. Maintenant, Tessa passait une bonne quantité de ses coups de fil à la voisine, à s’inquiéter de l’état de ‘ses bébés’. La plage, les paysages et la compagnie d’Aodren, évidemment, aidaient au moins un peu ; un peu oui, qu’elle aimait dire, avec une petite moue triste quand elle en parlait avec le brun, et qu’il prenait sur lui de la consoler en la serrant dans ses bras, ou en l’embrassant, comme ils en avaient tant le droit maintenant, parce qu’ils étaient en couple. Ils étaient en couple, hein ? Probablement que la question n’avait pas besoin d’être posée, la réponse était juste évidente ; depuis cet après-midi à Central Park, Tessa n’s’était pas senti le besoin de retourner sur MatchMaker – elle n’avait pas – pas encore – changé son statut facebook, annoncé à coups de grandes banderoles et de cris au téléphone, qu’elle était en couple maintenant, et non plus une midinette de vingt-sept ans, célibataire. Mais ils étaient en couple, Aodren et elle ; tous les éléments pointaient dans cette direction – et les vacances, soi-disant pensées pour être partagées entre amis pour commencer, étaient maintenant devenues, un genre d’escapade en amoureux. Ici, ils n’avaient pas besoin d’avoir peur – ils n’avaient pas vraiment peur à New York, mais quand même ? – de s’faire surprendre par un visage familier. Tessa, souvent, se retrouvait incapable de résister à l’envie de poster des photos, sur tous ses réseaux sociaux ; nombre d’entre elles où Aodren était affiché, lui-même, présent à ses côtés. Un voyage entre meilleurs amis, hein ? Qu’ils interprètent ça, à New York, et eux deux, le jour où ils décideraient d’rendre des comptes à qui que ce soit, ils annonceraient à qui voudrait l’entendre, qu’ils s’aimaient. Ils s’aimaient, hein ? C’était c’qu’elle appelait, elle, les frissons qui la parcouraient quand elle croisait les yeux sombres du jeune homme, et que son cœur s’mettait à battre plus vite. C’était c’qu’elle appelait, aussi, quand elle se réveillait dans les bras du jeune homme, le matin, et que sa seule et première envie, était de lover son visage tout contre lui, pour sentir sa peau, humer son odeur, profiter de sa présence aussi longtemps que possible. Maintenant, elle en profitait tellement qu’elle n’avait pas envie de penser à quand ils rentreraient – rien n’changerait, pourtant, quand ils rentreraient, hein ? Elle devrait retourner au boulot, à la limite, ce qui leur laisserait beaucoup moins d’temps pour se prélasser, malheureusement. Raison de plus pour en profiter. « Hm ? » à moitié endormie contre le sable chaud, protégée par sa douce serviette, Tessa avait laissé le soleil lécher sa peau ; si elle continuait comme ça, elle allait attraper des coups de soleil, d’ailleurs. Ce qui n’serait pas une si grande surprise, c’était un peu le lot inévitable, de tous ses voyages, loin ou près, au soleil ou à la neige. « Tu veux aller voir les alligators ou nager avec les dauphins, toi ? » même si elle eut un petit sourire taquin, il fallait bien admettre que les deux options lui foutraient la trouille – peut-être était-ce la base d’une vraie expérience, repousser ses limites. Mais de là à s’faire bouffer la jambe ou noyer par des animaux sauvages ? Hmmmm… « Tu sais que dans ce guide, ils disent aussi qu’y’a des pythons, de genre cinq mètres de long, dans les marécages des Everglades ? » elle désigna le bouquin qu’elle feuilletait sur la route, celui qu’elle avait emmené à la plage avec eux, dans son sac. Se redressant sur ses coudes, Tessa s’approcha d’Aodren, pour venir déposer un baiser sur son épaule nue. « Mais si on va là-bas, tu peux être sûr que j’passerais tout mon temps accrochée à ton bras ou perchée sur ton dos, à te demander de me protéger, comme une demoiselle en détresse. » y avait-il une quelconque honte à admettre qu’on avait peur des alligators gros comme des vaches, et des pythons capables de gober des trucs trente fois plus gros qu’eux ? Tessa, elle s’était si bien accommodée à la vie de New York, parce qu’elle était une pauvre citadine dans l’âme, fallait croire.

Trop occupée à se battre au quotidien pour avoir un minimum de crédibilité dans son travail, Tessa n’avait absolument pas pensé à prendre des vacances cet été ; à vrai dire, et même si elle avait le goût de la découverte, la blonde n’avait pas pris de réelles vacances – hormis pendant la période de Noël pour les fêtes en famille – depuis qu’elle avait commencé à travailler au musée. En tant que stagiaire sous-payée, elle gardait l’assurance que d’toute manière, elle n’avait pas beaucoup de droits quels qu’ils soient, vis-à-vis de ses supérieurs. Sa conscience la pousserait presque à dire qu’elle était déjà chanceuse d’toucher à des pinceaux et des outils, plutôt que d’aller chercher du café pour ceux qui travailleraient, à longueur de journée. Cet été, alors, elle l’avait appréhendé comme tous les autres étés depuis qu’elle avait fini ses études, et obtenu le job de ses rêves – ou le sous-job qui allait la mener au job de ses rêves, si elle s’accrochait. Un jour. Au tout début, quand elle avait parlé de voir si elle pourrait avoir des congés quand il avait été question de vacances avec Aodren, force était d’admettre que Tessa n’avait pas vraiment pensé ce qu’elle avait dit ; elle avait été persuadée qu’elle n’obtiendrait rien, et que limite, toute demande de sa part retarderait d’au moins cinq ans, une quelconque mutation, vers plus de droit et de stabilité. Et puis, à quoi bon aller sur la plage avec l’Adkins, si c’était en tant qu’amis, pour n’pouvoir rien dire en voyant toutes les autres filles lorgner sur lui, comme c’était leur bon droit ? Il aurait été célibataire, elle aurait été célibataire, et techniquement, ç’aurait dû leur autoriser des vacances sans prise de tête au soleil. Pourtant, Tessa avait été prise de tête depuis un long moment déjà, dans tout c’qui concernait son colocataire ; ç’avait été déjà bien compliqué, au quotidien, dans leur vie de tous les jours, de n’pas lâcher des paroles maladroites et gênantes, censées mettre en mot ses sentiments, alors qu’est-c’que ce serait, en passant des heures rien que tous les deux dans une voiture, ou dans une ville inconnue, où ils n’auraient eu que l’un et l’autre ? Aujourd’hui alors, maintenant qu’ils avaient plié bagages et qu’ils se trouvaient en Floride, Tessa pouvait bien admettre que sans cet après-midi à Central Park et toutes les vérités qu’ils s’étaient dites là-bas, ils ne seraient pas sur cette plage aujourd’hui. Elle, en tout cas, elle n’y serait pas. Et qui sait, sûrement qu’Aodren n’aurait pas eu l’envie d’aller à la plage, s’il avait dû prévoir son voyage, juste lui tout seul. A vrai dire, elle découvrait de plus en plus, que les voyages, justement, c’était un sujet de conversation qu’ils n’avaient jamais eu, tous les deux ; ouais, au bout de dix ans à s’connaître, voilà qu’ils avaient trouvé un sujet de conversation, auquel ils n’avaient pas beaucoup touché, ensemble. De un, parce qu’il y avait eu toute une époque où ses voyages, il les avait planifiés avec sa femme – ou aurait dû, les planifier avec sa femme, s’ils décidaient de partir quelque-part. De deux, quand il était venu vivre chez elle, il avait semblé évident à la blonde, que proposer un voyage au jeune homme, n’aurait pas été une solution parfaite pour le relaxer. Aodren n’avait pas eu la tête à voyager, elle n’l’avait pas eue non plus, franchement. Ils avaient alors eu leur petite vie à New York, un quotidien déjà bien prenant, bien énergique, bien dynamique – parfois, c’était difficile de penser au-delà de cette grande ville, si cosmopolite et vivante, qu’elle semblait se suffire à elle-même. Pourtant, à New York, il n’y avait pas de plage – pas de plage de sable blanc et fin, avec rien d’autre que le bruit de la mer et des hauts palmiers battant avec l’air marin.

Ils avaient bien fait de partir, alors, s’disait Tessa, à chaque détour qu’ils faisaient. Peut-être bien qu’elle n’aurait jamais pensé à faire un road trip, elle, certainement pas en solitaire, et qui sait, même si elle avait dû être avec quelqu’un d’autre que son meilleur ami. Elle, elle aurait automatiquement pensé pays étranger, en s’imaginant un voyage ; peut-être l’Italie, peut-être l’Espagne, le Danemark, l’Angleterre, la France, ces vieux pays bien ancrés dans l’histoire et dans l’art, ces choses qu’elle aimait tant. Washington avait l’allure d’un vieux musée, aussi, mais encore, c’n’était rien comparé aux richesses centenaires gardées en Europe. Ouais, voilà à quoi elle aurait pensé en premier lieu - son champ d’expertise habituel, ce qu’elle aimait, évidemment, et ce qu’elle connaissait sur le bout des doigts, aussi. Les Etats-Unis avaient, à côté de ça, surtout l’allure d’un grand pays plein de paysages différents et hétéroclites : ils n’étaient pas si loin de New York, tout juste à 1500km, et pourtant, l’ambiance était totalement différente, ici. A lire les différents guides de voyage qu’ils avaient embarqué, d’toute manière, Tessa aurait presque envie de faire tous les endroits possibles et imaginables ; voilà qu’elle s’découvrait l’envie de voyager pour toujours, et de n’jamais rentrer. C’était paradoxal, quand même, et bien contraire à la mélancolie de la maison qui surgissait parfois, quand elle était fatiguée, ou qu’ils passaient trop de temps à rouler sur des routes qui avaient toutes la même allure. Mais elle avait voulu voir la mer, et ils étaient à la mer, maintenant ; c’n’était pas l’océan de l’autre côté du pays, là-bas, en Californie, comme ils avaient pu en avoir l’ambition au tout début – la blonde n’avait malheureusement, obtenu que deux semaines de congé, pas beaucoup plus. Dommage, San Francisco, Los Angeles, ç’aurait pu la tenter. La Floride, c’était autre chose totalement : il y avait bien Miami et Hollywood qui étaient célèbres par-ici, et la Dyer n’savait pas encore si ça la tentait ou non. Une chose était sure, en tout cas, la plage à Clearwater devait être beaucoup plus plaisante que celles, bondées et sales, autour de Miami – les séries prétendant le contraire n’faisaient que mentir. « Quoi ? Tu t’engages pas à protéger ma vie coûte que coûte, dusses-tu sacrifier la tienne ? » elle plaisanta, un sourire mielleux aux lèvres, parce qu’ils n’parlaient pas de Miami, là ; le truc avec la Floride, c’était que c’était tout autant jet set que sauvage – et tout au sud, y’avait les Everglades. C’genre de zone totalement sauvage, faite de marécages et de bayous que tout le monde disait incontournable, pour y voir une faune très développée et sauvage. Dont des alligators, des crocodiles monstrueux, et des pythons, ouais. Rien que ça. Y’avait aussi des lynx, hein, et des pumas, et peut-être d’autres bestioles encore ; m’enfin, voir un lynx se faire bouffer par un python ou un crocodile, très peu pour elle. Tessa n’serait donc pas l’aventureuse de leur couple, à contredire ce que le brun disait, là, la faisant ricaner doucement ; « Qu’est-ce qui te plait chez les Princesses, pour que tu fasses 1500km pour les voir ? » elle imaginait difficilement Aodren regarder Cendrillon et n’pas s’endormir au milieu – mais à vrai dire, Tessa n’serait rien d’autre qu’une menteuse, si elle prétendait ne pas vouloir aller à Disneyland, ou à d’autres endroits, plutôt beaucoup fréquentés. Certes, la Floride avait été un second choix, un peu par défaut, mais y’avait beaucoup de choses, à voir ici. « Y’a aussi des caves, avec des sources d’eau douce naturelle. Comme y’a la plage en Floride, peu de gens s’y rendent, et j’me dis que ça doit être bien agréable quand on supporte plus le sable. » parce que c’était bien gentil, et bien joli, le sable, mais au bout d’un moment, c’était chiant. Tessa en tout cas, quand ils rentraient, elle devait passer une bonne heure sous la douche à se laver les cheveux. Ça, c’était sans compter l’état des serviettes de plage, du sac et des autres affaires. « Si on est vraiment ambitieux, y’a toujours… les Bahamas. Si on va à Miami, on en a pour même pas une heure d’avion. » une heure, plutôt une demi-heure. Observant Aodren, derrière ses lunettes de soleil, pour se faire un peu plus convaincante, Tessa se mordilla la lèvre, passant une main sur le torse du jeune homme. « Mais y’a des vieux bateaux de pirates, des cochons sauvages et des requins, aux Bahamas, peut-être que t’aurais peur… » oui, c’était une moquerie, lancée avec gentillesse – il savait très bien qu’elle aussi, elle aurait peur des crocodiles, des requins, des alligators, des monstres des eaux et de n’importe quoi d’autre. Le problème surtout, c’était que les Bahamas, ça n’avait pas du tout été dans leurs plans, ça n’avait même pas été mentionnée jusqu’à là, maintenant ; et puis, c’était la destination romantique par excellence, y’avait des jeunes mariés qui allaient aux Bahamas, comme les vacances de leur vie, pour célébrer leur union ; est-c’qu’ils en étaient là, déjà ?

Pour le peu de vacances qu’elle avait pris dans sa vie, Tessa n’savait pas vraiment quel genre de vacancière elle était. Une chose était sure, une fois qu’Aodren et elle s’étaient arrêtés sur l’idée de faire un roadtrip, la blonde avait surfé sur internet, à la recherche de tous les lieux qui pourraient être sur leur trajet et potentiellement intéressants. Il avait été évident dès l’début qu’ils n’pourraient pas aller jusqu’en Californie, alors ils avaient dû se contenter d’autres choix, auxquels ils n’avaient pas nécessairement pensé. Est-c’que ça voulait dire, alors, qu’au moins, Tessa n’était pas une maniaque de l’ordre, chiante et capricieuse dès que les choses n’allaient pas comme elle voulait ? Y’avait bien des avions, qui allaient d’un bout à l’autre du pays, partant de New York pour arriver à San Francisco ou Los Angeles. Y aller, alors, n’aurait pas été impossible évidemment ; ça n’aurait même pas été une question d’temps non plus. Mais de toutes les choses dont ils avaient parlé depuis qu’ils avaient commencé à tâtonner à la recherche de vacances, c’était le roadtrip qu’ils avaient gardé en réserve. Et tant pis pour la Californie, ils y iraient une autre fois – un genre de deal qu’ils s’étaient déjà fait, comme si l’avenir pouvait être aussi facile à appréhender et voir venir. La Dyer pourtant, n’savait pas vraiment quand est-c’qu’elle pourrait avoir à nouveau des vacances. Et cette question pratique était, évidemment, bien loin de tout ce qui tournait vraiment, comme petites doses d’inquiétude, dans l’esprit de la blonde : et si ce voyage était leur seul et unique ? Si, en rentrant à New York, en retrouvant leur vie de tous les jours, ils s’retrouvaient à s’poser des questions sur leur couple ? Pour l’heure, ils n’avaient pas vraiment eu l’occasion de le tester dans l’environnement habituel de leur vie de tous les jours ; les congés de la blonde étaient arrivés bien vite, et ils avaient presque passé leur temps à être concentrés sur des genres de projets d’avenir qu’elle n’avait jamais partagés avec qui que ce soit, encore. Même dans ses histoires d’amour. Ouais, pour aussi longtemps qu’elles avaient pu durer, ses amourettes, Tessa n’avait jamais rêvé d’aller les vivre à l’autre bout du pays, ou même du monde, d’une façon exclusive et paradisiaque, sur une belle plage ou dans un beau décor. Si c’n’était que pour en garder des photos gênantes qu’elle n’pourrait plus jamais regarder une fois qu’elle se serait faite larguer, à quoi bon ? Fallait croire que cette trouille-là, elle n’l’avait pas eue avec Aodren. Ils avaient été amis, avant d’être quoique ce soit de romantique, non ? Elle n’pouvait pas imaginer un jour, où penser à ces vacances avec lui, qui avaient déjà si bien commencé, puisse être une mauvaise chose qui lui tordrait les entrailles et lui enserrerait le cœur. Non, elle était bien là maintenant ; elle avait aussi été bien, défaite de tout doute et de toute inquiétude, quand ils avaient embarqué dans cette voiture, avec toutes leurs affaires, et un lot de destinations inconnues. Comme quoi, fallait croire que Tessa avait quand même un brin d’aventure dans le sang ; une confiance aveugle quand il était question d’eux deux, en tout cas. Même s’ils n’avaient dû partir qu’entre amis, ç’aurait été des vacances idéales. Des vacances qu’elle aurait aimé partager avec lui. Maintenant, ils étaient autre chose, ils étaient plus que ça et en fin d’compte, dans un autre état ou à la maison, c’n’était pas bien différent. Elle était bien avec l’Adkins, posée et reposée, contente d’avoir osé, et juste contente d’être là, avec lui.

Leur vie à New York était loin d’être terrible ; c’n’était pas l’étau constant d’une vie pleine de responsabilités, qui les étouffait jusqu’à en crever. Mais des vacances, ça faisait du bien quand même ; et Tessa s’découvrait une capacité à juste aller avec le courant, s’laissant porter par les pages qui les intéressaient dans les guides qu’elle avait ramenés avec eux. La seule chose dont elle avait été sure, c’était qu’elle avait eu envie d’voir la mer – la vraie mer, avec une belle plage, du soleil et des palmiers. C’était chose faite, maintenant et ils avaient encore de nombreux jours devant eux. Et évidemment, elle n’avait pas encore envie d’rentrer à la maison, quand bien même les chats ou Leia pouvaient lui manquer. Ses petites habitudes lui manquaient, comme manquaient des détails infimes à un décor familier ; elle avait toujours aimé son chez elle, la blonde, alors s’retrouver ballotée de chambre d’hôtel en chambre d’hôtel, c’n’était pas son trip. Paradoxalement, passer des heures dans la voiture à regarder le paysage défiler, à être seule avec Aodren dans un tout petit espace, ça, c’n’était pas si dérangeant qu’on pourrait l’croire. Peut-être n’avaient-ils pas besoin de planifier plus que ça, alors ; rien qu’ici et maintenant, sur cette plage, à écouter le bruit de la mer, les éclats des voix des gens, et à se savoir si bien accompagnée, la Dyer aurait bien envie d’pouvoir rester là pour les deux semaines de vacances dont elle disposait. Et même plus longtemps, encore, si c’était possible. « Ooh-ooh, tu décrètes quelque-chose ? C’est comme ça que ça va s’passer, alors ? » comme s’ils pouvaient si facilement se disputer pour ça ; ils en étaient loin, là, alors que Tessa riait doucement, un sourcil arqué en signe de petite provocation. Certes, le jour où il décréterait sérieusement quelque-chose pour eux deux, n’viendrait pas de sitôt, mais elle n’allait pas particulièrement protester, quand il était question d’alligators, de pythons et d’autres bestioles sauvages qui étaient mieux dans leur coin. « Fais gaffe, sauver ma vie en décrétant quelque-chose à ma place, ça fait pas très gentleman. » sans conteste. Mais il savait qu’elle plaisantait, et elle savait qu’il ne s’permettrait jamais d’être sûr d’penser mieux qu’elle, d’savoir mieux qu’elle et de donc pouvoir choisir sa vie, comme ça, au gré de ses envies à lui. C’n’était que des vacances, là, des vacances qu’elle n’aurait jamais prises elle-même ; et si c’n’était qu’une question d’choix, évidemment qu’elle n’avait pas envie d’aller aux Everglades, elle non plus. Tessa aussi, elle préférait les Princesses Disney, et pourquoi pas d’autres choses, qu’elle avait pris la peine d’essayer de découvrir avec les guides qu’elle avait achetés. Au moins, elle les amortissait. Et elle découvrait qu’en vérité, le pays dans lequel elle avait toujours grandi, regorgeait d’tout un tas de merveilles dont on n’parlait que trop peu. « Qu’est-c’que t’en sais, qu’elles veulent pas te bouffer? J’te protégerais, au pire… » elle sourit, à défaut d’avoir, elle, un petit-ami qui promettait d’la protéger contre des bêtes sauvages, Aodren avait la chance d’avoir une petite amie prête à tout pour l’protéger des autres filles. Presque comme si elle était jalouse, quoi. Mais s’ils devaient finir aux Bahamas, comme ça, comme un caprice, une envie sortie d’nulle part, c’était autre chose. Heureusement qu’elle portait ses lunettes de soleil, Tessa, parce qu’elle n’savait pas vraiment comment le brun à ses côtés aurait pu interpréter le regard qu’elle attarda sur lui ; était-elle surprise, circonspecte, ou emportée par un genre de fièvre amoureuse stupide ? Ils parlaient juste d’aller sur des îles à quelques heures d’avion de leur localisation, rien d’autre. Pourtant, c’était les mythiques, romantiques, Bahamas. « Ca te dirait, les Bahamas ? Vraiment ? » ne put-elle s’empêcher de demander encore, vraiment surprise, vraiment tentée, vraiment flattée aussi, pour elle n’savait quelle raison. C’était juste un voyage, et c’n’était pas parce que les autres couples partaient là-bas, habituellement pour leur voyage de noces ou des trucs de c’genre, qu’Aodren et elle étaient dans le même contexte, de quelque façon que ce soit. Ils avaient tout juste commencé à être un couple – alors ils étaient loin des grands engagements, hein. « Qui sait, peut-être que j’me découvrirais une bravoure nouvelle au milieu des marécages pleins de crocodiles… » vu le rire qu’elle eut, elle-même n’pensait pas que ce serait possible. Il suffirait sans doute qu’elle croise un gros poisson dans la mer là-bas, pour n’plus y foutre les pieds, c’est dire. « En tout cas, les requins qu’y’a aux Bahamas, ils sont aussi dans cet océan, alors j’suppose qu’on s’y est déjà risqués. » bizarrement, les requins, c’était un concept plus lointain à Tessa que les fameux crocodiles sur lesquels elle avait lu de trop nombreuses indications et règles de prudence. Au moins, les requins c’n’était pas aussi agile sur terre que dans l’eau, contrairement à ces foutus crocodiles. « J’ai aussi lu qu’y’a tout un ensemble de plages, aux Bahamas, avec un phénomène spécial qui a rendu le sable rose. Et aussi plein d’endroits où on peut faire de la plongée… » elle n’savait pas si la plongée était un argument, ou si le rose en était un tout autant – mais quand même, une plage au sable rose, ça n’se voyait pas tous les jours, quelle que soit la couleur. Elle offrait de bons arguments, non ? En plus de ses yeux de biche, papillonnant derrière ses lunettes, parce que ouais, c’était tentant, vraiment tentant. Comme le fait de venir déposer son menton sur le torse du jeune homme, l’observant avec un sourire gentillet ; en gros, il était perdu maintenant, il allait céder et dire oui, hein ? Comme ça, ils pourraient aller voir ces fameux bateaux de pirates, en plus du reste.

Dix ans à s’connaitre et trois ans à vivre ensemble, ça n’laissait pas beaucoup de place à la surprise; certains pourraient voir ça comme un prétexte à n’rien tenter, à n’même pas faire confiance aux sentiments qui pouvaient venir, subitement comme ça, au beau milieu d’un quotidien bien réglé. Y’avait des gens qui cherchaient l’aventure, l’inconnu en premier lieu: des gens qui n’penseraient absolument pas au meilleur ami qui était là depuis bien longtemps maintenant, dans son rôle habituel, dans le schéma de toujours, pour développer quoique ce soit de ‘plus’. Plus? Ouais, c’était ce qu’ils étaient devenus, maintenant, tous les deux - pourtant, Tessa avait l’assurance d’tout connaître de l’homme avec lequel elle avait embarqué dans cette voiture pour faire un roadtrip. L’homme avec lequel elle s’endormait le soir dans le même lit, quand bien même cette discussion avait semblé tant leur coûter, et leur sembler ridicule. Le temps qu’ils passaient ensemble en tant que couple, n’avait pas grand-chose de différent du temps qu’ils avaient passés ensemble, en tant que ‘juste amis’; est-c’que c’était mauvais signe? Ou au contraire, tout l’inverse, le signe d’une relation idéale, construite de A à Z, d’amis à amoureux, capables de s’faire confiance et de reposer l’un sur l’autre, sans l’ombre d’une hésitation? Sans avoir particulièrement envie d’s’aventurer au milieu du bayou des Everglades, Tessa savait que s’ils devaient se retrouver face à des alligators, Aodren serait le premier idiot à s’jeter devant le risque, dans une décision peut-être même stupide et soi-disant noble. Ça pouvait presque paraître répétitif, d’sembler connaître l’autre comme le dos d’sa main, le fond de sa poche, et chaque recoin de l’appartement qu’ils partageaient depuis de longues années désormais. Qu’avaient-ils d’autre à développer, hein? Mais au fond, la Dyer n’avait jamais trop eu l’âme d’une aventurière insatiable, amoureuse des risques en ricochets et des actes fous qui pouvaient être à double tranchant. Qu’elle n’prétende pas - le trajet habituel de tout le monde en Floride, entre les belles plages de sable, les célèbres parcs d’attractions et autres lieux visités par des milliers de touristes toute l’année, ça n’la dérangeait absolument pas. Et puisqu’elle connaissait si bien Aodren, la réciproque devait être toute aussi vraie; il d’vait aussi lui, bien la connaître, assez bien pour savoir qu’elle n’allait pas lui en tenir vigueur pour cette histoire de crocodiles et d’alligators ou de pythons qu’ils n’verraient pas. D’autres voyaient la vie comme tout un tas d’opportunités à saisir, même les plus folles, même les plus impétueuses; peut-être que ces gens-là n’perdaient pas des mois et des mois à s’regarder dans le blanc des yeux et à tourner en rond comme l’Adkins et elle l’avaient fait, leurs coeurs battant si vite, cachés derrière les apparences qu’ils avaient essayé de sauvegarder. Pour quelle raison? La peur ouais, la peur qui s’était complètement évaporée des veines de la blonde, depuis; c’était impossible pour elle, d’avoir la moindre inquiétude vis à vis de quoique ce soit quand elle était avec Aodren. Jamais elle n’avait fantasmé leur relation, imaginé quelque-chose qui n’était pas là; jamais elle n’s’était construit toute une vision de leur ‘couple idéal’ dans sa tête, alors ouais, elle n’était pas déçue, elle n’avait pas peur d’avoir l’coeur brisé, elle n’était pas inquiète. Elle était si bien avec lui - bien comme elle n’l’avait plus été depuis belle lurette en amour, voguant de déception en déception sur MatchMaker, ou, même avant ça, de ruptures en ruptures, plus ou moins inattendues.

Ces vacances étaient déjà une surprise en soit; une aventure qu’elle n’avait pas tentée depuis qu’elle vivait seule - fallait bien l’admettre, prendre des vacances rien qu’pour ça, dans son coin, c’n’était pas très tentant. Et puis, ça allait plus loin qu’ça encore; y’avait bien que pour Aodren qu’elle pouvait un jour s’donner la peine d’essayer de forcer la main à son patron, d’abandonner son job, son appartement et son train-train quotidien à New York. Surtout si vite, comme ça, après une tournure bien brusque dans leur relation: peut-être auraient-ils dû prendre plus de temps. En tout cas, Tessa n’avait jamais embarqué pour des ‘vacances en amoureux’ avec qui que ce soit, jusque-là; un privilège réservé à Aodren, fallait croire - sans doute pas une évidence réciproque. Il en avait connus, des voyages, lui, rien qu’un voyage de noces, avec une autre femme, bien romantique, bien heureux, bien idéal. Ils en étaient encore loin, d’tout ça, eux deux, à parler de crocodiles et de serpents dans le pire des cas, ou de princesses quand il était question des ‘meilleurs choix’ qu’ils avaient à disposition. Ouais, au fond, il devait savoir, le brun, qu’y’avait bien qu’avec Tessa qu’il pourrait aller à Disneyland et aux autres parcs ‘pour enfants’, parce qu’elle n’avait ni l’âme d’une aventurière, ni celle d’une randonneuse, ni celle d’un genre de rabat-joie qui trouverait tout ça stupide. « N’empêche j’suis sûre qu’on n’fait qu’être comme tous les gens débiles qui croient les genres de ‘légendes’ sur les animaux sauvages… » si elle avait vraiment été passionnée par la faune sauvage d’ici et d’ailleurs, elle aurait eu l’audace de vouloir devenir exploratrice, zoologiste ou n’importe quoi de c’genre. Mais non, Tessa bossait bien confortablement, au fin fond de son musée, avec des objets qui n’étaient pas bien dangereux; alors ouais, ce qu’elle savait des alligators et des crocodiles, c’était les images de leurs grandes mâchoires à la télévision dans des documentaires animaliers, et les séquences les montrant en train de bouffer un pauvre animal qui se serait aventuré trop près de l’eau. Peut-être bien pourtant que comme pour beaucoup d’choses, la réalité était bien différente - si ça se trouve, tous les touristes qui passaient par les Everglades n’voyaient rien du tout, à part deux trois crocodiles en train de pioncer, et basta. Mais Tessa, elle était l’genre d’opportuniste qui, de toute façon, s’amuserait aussi très bien au fin fond de Disney World avec des princesses, des bonbons pour gamins, et des attractions pour lesquelles elle était censée être ‘trop grande’. « Nan j’serais pas ‘contente’ que tu te sacrifies pour moi… mais ce serait romantiiiique... » elle se moqua, riant doucement alors qu’elle venait poser son menton sur l’épaule du jeune homme, juste à côté d’elle. Chacun sa vision du romantisme, sans doute - elle, elle proposait au pire, de se crêper le chignon avec des grognasses de princesses dans un parc d’attraction, c’était déjà pas mal hein. « Sous-estime pas les mangeuses d’hommes, dis donc. » ricana-t-elle de plus belle, remontant jusqu’aux lèvres du brun, pour venir y déposer un petit baiser: il devait bien le savoir, non, qu’un petit de charme, un petit peu de subtilité, ça marchait très bien sur lui? Elle, en tout cas, elle le savait. Ça, elle le revêtait facilement, Tessa, l’air malin d’une charmeuse amusée - c’était le reste qui était plus compliqué, les vrais sentiments qui pulsaient à mille à l’heure contre les côtes et partout dans le corps. Ses yeux clairs perdirent leur éclat moqueur, avec cette histoire de Bahamas; pourtant, les Bahamas, même si c’n’était pas si loin, ça ressemblait à une frontière nette qu’ils n’auraient jamais dépassé, comme si Trump avait construit un mur aussi dans l’océan pour bien tout séparer. « Vraiment, les Bahamas alors? » se retrouva-t-elle à demander, encore, bien contente d’avoir ses lunettes sur le nez pour cacher le regard surpris, et sans doute un peu gêné qu’elle eut. C’était stupide, quand même, d’associer un certain ‘degré de romantisme’ à une destination; c’n’était qu’un ensemble d’îles, très cools et très tentantes - alors pourquoi est-c’qu’elle devait se prendre la tête, hein? Le sourire vint au moins bien assez vite, imparable et impossible à restreindre, alors qu’elle caressait la peau brune du jeune homme avec le bout de ses doigts, se mordillant doucement la lèvre; « On prend pas souvent des vacances, mais au moins on ferait pas les choses à moitié. » encore un trait d’humour, pour garder contenance, avant qu’elle n’puisse plus résister plus longtemps, se penchant jusque vers les lèvres d’Aodren, pour un vrai baiser long et suave. C’était ses premières vacances depuis belle lurette, mais à n’en pas douter, elle allait y prendre goût, là.

Prise dans sa vie de tous les jours à New York, Tessa avait arrêté de penser aux vacances ; l’idée lui avait presque paru incongrue quand Aodren l’avait amenée à haute voix, quelques semaines plus tôt. Les dernières vraies vacances qu’elle avait eues, avaient probablement été avec une bande d’amis au beau milieu de l’université ; rien de plus. Ils n’étaient certainement pas partis vers une destination folle et incongrue, lointaine et étrangère – au contraire, tous les gens qu’elle avait accompagnés avaient toujours partagé ses mêmes centres d’intérêt et ses mêmes passions. Finalement, alors, la Dyer était bien rarement sortie de ses plates-bandes – elle n’était pas bien différente de ses parents, il semblait. Moins qu’elle n’voudrait l’admettre, en tout cas. Pourtant, malgré les efforts qu’elle pouvait vouloir faire, malgré ses envies aventureuses, la blonde n’était que très moyennement attirée par l’idée de croiser des crocodiles et autres créatures sauvages et meurtrières, où qu’elle aille. Peut-être que s’ils allaient à la montagne, ils devraient penser aux ours, aux pumas, à toutes ces espèces diverses qui flirtaient avec la frontière Canadienne. Peut-être que s’ils optaient pour un désert un jour, ils devraient aussi s’préparer mentalement à endurer plein de choses, et à avoir la trouille de trucs complètement fous, aussi. Y’avait les gens vraiment aventureux, audacieux, vraiment insensibles à ces préoccupations stupides que les autres, comme elle, avaient. A force d’être enfermée dans son quotidien, avec son musée, les rues très modernes et citadines de New York, Tessa était loin d’être l’aventurière par excellence qui voudrait tout tenter ; elle avait acheté des livres touristiques, alors qu’ils partaient juste dans quelques états voisins, n’était-ce pas déjà une bonne indication, de son incapacité claire et nette, à prendre des vacances sans prise de tête, hein ? Pourtant, jusque-là, Aodren la supportait ; peut-être était-il bien content qu’elle soit comme ça, parce que lui, il avait connu assez de tournures désastreuses à sa vie, il avait enduré assez de mauvaises nouvelles et de périodes faites de hauts et de bas vertigineux. Et puis, lui aussi, il s’était complètement paumé dans la vie de tous les jours, pour n’pas penser plus loin sans doute. C’était dans c’genre d’ambiance complètement nonchalante, presque hasardeuse, qu’ils étaient devenus ce qu’ils étaient aujourd’hui ; pas une histoire grandiose, faite de drames particuliers, de trahisons, de révélations dignes du coup de foudre, dès le premier regard. On pourrait presque leur reprocher d’être terriblement normaux, comme le commun des mortels, Aodren et elle. Pourtant, Tessa elle se sentait bien, avec lui ; peut-être était-ce l’histoire dont on avait besoin et envie, quand on atteignait l’âge qu’elle avait aujourd’hui. Après des années à écumer des bars, des boîtes de nuit, à faire la fête comme une folle avec les étudiants à Columbia, la jeune femme qu’elle était devenue, avait trouvé l’amour juste sous son nez. Ça devait être encore plus bizarre pour lui, de toute manière ; mais quand elle y réfléchissait, ça l’était aussi pour elle – surtout quand elle pensait à ce qu’ils avaient partagé, déjà. Elle l’avait vu devenir père, aimer son fils comme il n’avait sûrement jamais aimé personne ; elle l’avait vu aimer une autre femme aussi, une histoire qui avait commencé bien avant qu’eux deux, ne se rencontrent. C’était ironique, franchement, la façon dont les choses tournaient aujourd’hui – jamais elle n’avait été l’amoureuse jalouse, qui haïssait une autre femme pour avoir le cœur de l’Adkins, jamais non plus à cette période, n’avait-elle imaginé que quoique ce soit puisse se passer un jour. Et c’était maintenant, seulement maintenant que cette part-là de leurs souvenirs en commun, était synonyme de doutes et de malaise, pour elle.

Elle n’savait même pas pourtant, si Aodren et Gina avaient gardé contact ; ils s’étaient revus un soir où il était sorti promener Leia. C’était tout ce qu’elle savait, tout ce qu’elle pensait avoir le besoin et le droit d’savoir, de toute manière. Mais dire la vérité aujourd’hui, autour d’eux, était une perspective terrifiante pour Tessa – et si on la jugeait pour c’qu’elle n’avait jamais été ? Et si tout l’monde s’mettait à se construire des scénarii divers et variés, transformant chacun de ses gestes à l’égard du jeune homme, en une machination pour arriver là où ils étaient aujourd’hui ? A force d’y avoir réfléchi, à s’être donné la responsabilité d’au moins s’poser la question, Tessa ressortait sure que ça n’avait jamais été le cas ; qu’elle n’avait pas accueilli Aodren chez elle avec l’attente du jour où ils finiraient dans un même lit, qu’elle n’l’avait pas consolé en se disant que de plus en plus, c’était elle qui gagnait de la place dans son cœur. Mais et si les autres pensaient ça ? La famille du brun n’avait jamais été hostile à Tessa – jamais quand elle avait été l’amie dans la vie d’Aodren, mais qu’est-c’qu’il se passerait, maintenant, hein ? Les doutes au moins, ne la poursuivaient pas jusqu’en Floride ; peu de choses de New York, en vérité, arrivaient à l’atteindre maintenant qu’elle était ici, sur cette plage, en si bonne compagnie, à sentir la caresse du soleil sur sa peau comme elle n’avait plus pris l’temps de l’apprécier, depuis bien longtemps. Elle qui avait tant vécu pour son travail, pour les désirs d’avoir plus, de prouver plus depuis un moment maintenant, elle serait presque incapable de dire en quoi consistait son emploi de tous les jours, si on devait le lui demander, là tout de suite. Heureusement, y’avait personne pour l’embêter ; personne pour les embêter tous les deux. Probablement y aurait-il encore moins de gens dans les Everglades, s’ils se décidaient à y aller, mais il fallait croire qu’ils venaient tout juste de rayer cette destination de leurs listes. Peut-être le regretterait-elle, un jour, quand ils se laissaient le temps d’apprécier les choses comme ça, si ça devait arriver. Mais pour l’heure, Tessa n’pouvait certainement pas prétendre préférer avoir peur avec des crocodiles et des alligators, plutôt que d’aller visiter le parc Harry Potter ou Disneyland. « J’en sais rien, ça marche dans les films, alors qui sait... » haussa-t-elle les épaules, plaisantant avec un sourire narquois pour répondre au brun, comme pour le provoquer un peu. Elle espérait quand même qu’il s’doutait que quoiqu’il advienne, elle n’avait pas envie de voir ses boyaux, ou de le voir mourir – pour elle ou dans quelque autre mesure que ce soit ; ça faisait trop longtemps maintenant, qu’il était si près de son cœur, si intimement lié à sa vie, pour qu’elle puisse imaginer un futur sans lui à ses côtés. C’avait été pour ça qu’elle avait eu peur, aussi, au début, noyée dans ses sentiments ; peut-être était-ce pour ça d’ailleurs, qu’elle avait toujours peur. Plus qu’elle n’pourrait l’avouer. Il semblait au moins, qu’elle n’avait pas à s’inquiéter pour les croqueuses d’hommes, le classique petit-ami qui n’se cachait pas de mater les autres nanas à tous les coins de rue ; tant mieux, elle n’avait certainement pas besoin de ça. Elle en rougit, pourtant, comme une adolescente prise sur le fait, face à une phrase qu’elle n’avait pas eu l’habitude d’entendre dans ses histoires précédentes. « Ouais ? J’suis plus sexy qu’une fille bronzée de Floride, avec des longues jambes et un corps sculpté parfaitement, parce que Mindy – c’est son nom – fait un sport carrément fou et sexy que j’arriverais jamais à faire, genre du surf ? » heureusement qu’elle rigola, pour finir sa phrase, sinon, ç’aurait eu l’allure d’une crise de jalousie en devenir. Tessa, elle n’voulait pas être jalouse ; elle préférait n’pas être mise dans cette situation, alors, bien trop consciente que ce serait plus fort qu’elle, mine de rien. Ça l’aurait toujours été dans toutes ses histoires ; Sofia avait été volage, impétueuse, du genre décomplexée à n’pas se cacher. A l’époque, Tessa s’était sentie complètement terne et stupide, à bien des moments de leur relation. Elle savait alors, la jalousie de base, elle l’avait éprouvée – même vis-à-vis d’Aodren, quand il partait avec une autre, et qu’elle s’était forcée à passer outre, parce que d’toute manière, elle n’avait pas grand-chose à offrir, de son côté à elle. Peut-être que s’il était prêt à aller aux Bahamas avec elle, pourtant, le brun était assez obnubilé comme ça, par Tessa, celle qui était juste là à côté de lui. Mindy d’toute manière, à moins qu’elle n’ait vraiment pas d’chance, n’existait que dans les fantasmes ou les fausses tentatives jalouses de la blonde. Son sourire s’élargit alors, la Dyer incapable de se contenir, alors qu’elle riait doucement, soudainement revigorée par leur programme. « On ira aux Bahamas, alors. Après les princesses et les châteaux. » elle précisa, arquant un sourcil rien que pour lui ; de toute manière, ils devraient partir de Miami et pour ça, ils avaient encore une sacrée trotte à parcourir. Heureusement, ils avaient du temps. Qu’ils profitent de leurs vacances. « Faut qu’on profite, ouais… Alors on va pas rester sur cette plage, hein ? » elle n’avait certainement pas voulu venir jusqu’ici pour apprécier le sable qui se foutait partout, et si la vue de la mer était bien jolie, par cette chaleur, se baigner était parfait également. Se redressant légèrement pour atteindre son sac, alors, Tessa trouva sa crème solaire : elle avait beau être rarement partie en vacances, elle avait encore de bons souvenirs des coups de soleil qu’elle s’était souvent pris dans la tronche, à la plage ou au ski, ou même dans la vie de tous les jours en été. A vingt-sept ans, alors, elle avait ses petits rituels inratables ; ça pourrirait clairement leurs vacances si elle devait se coltiner des brûlures qui la feraient râler jour et nuit.