Louis ne peut que s’étonner de découvrir Lulu Ivanovich devant la porte du bureau de son ami. Il a d’abord cru à une vague ressemblance. Peut-être qu’elle n’était que la sœur du mannequin pour lingerie, que tout New York pouvait admirer à moitié nue, sur les affiches placardées dans le métro. Mais lorsque Ludmilla lui avait dévoilé son surnom, il n’y avait plus eu aucun doute possible. Vacillant entre l’amusement et la crainte, Louis avait fini par avouer à la secrétaire que sa famille l’employait, même s’il avait omis de préciser qu’il ne faisait plus partie de la gestion de cet empire familial. Il en avait été mis à la porte comme un vulgaire truand pour une erreur de jeunesse, un jeu d’adolescent en pleine crise. On lui avait arraché sa vie pour des bêtises et il n’était clairement pas dans l’idée de le crier sur tous les toits. Il en avait honte, même si ça l’avait forgé d’une autre manière. Il avait appris à connaître une autre facette du monde et c’était sûrement la meilleure des leçons qu’il pouvait en tirer, même si cela ne valait certainement pas l’éducation qu’il aurait reçu à Harvard s’il y avait terminé ses études. Il avait laissé par mal de choses derrière lui et cette université était sans doute l’une des choses qu’il regrettait le plus, avec la perte de sa copine. C’était là-bas qu’il avait rencontré Novak. Et c’est dans l’enceinte de la tour Darville qu’il s’apprête à le retrouver, avec cette légère appréhension qui lui noue les entrailles. Si son ami sait qu’il a prévu de venir – il faut dire que Louis a fait les choses bien, prenant rendez-vous avec lui pour être certain de pouvoir le voir, même s’il a peur que cela paraisse trop professionnel –, Louis se demande toujours autant comment il va accueillir la nouvelle de son passage en prison. Après tout, pour Novak comme pour beaucoup d’autre, il doit simplement être ce gars qui les a laissé tomber, disparaissant du jour au lendemain sans donner aucune nouvelle. Un peu comme s’il les avait chassé de sa vie pour une raison que lui-même ignorait. L’absence de l’héritier du label lui avait tout de même laissé un peu de répit, suffisamment pour qu’il ait le temps de se changer les idées tandis que Ludmilla lui faisait la conversation, visiblement intéressée par l’idée d’en savoir un peu plus sur son patron et ses fréquentations. Mais si Louis lui avait répondu avec la plus grande courtoisie, il avait évité de trop se livrer. Après tout, leur lien dépendrait beaucoup de la réaction de Novak face à son retour parmi les vivants. Pas besoin de chercher à créer ou fortifier des liens tant que rien n’était sûr.
Lorsque Ludmilla lui annonce que son patron est enfin là, prêt à l’accueillir dans son bureau, Louis ne peut que laisser échapper un soupir angoissé. Un dernier mouvement de panique pour se donner du courage. Après quoi, il ne laissera plus rien passer. S’il se montre confiant, il donnera envie à son ami de lui faire confiance. La base de toute manipulation, c’est d’insuffler le sentiment premier, celui qui le mettra dans des bonnes conditions pour qu’il accepte d’écouter et de faire ce qu’il aura envie. Et si Louis n’a aucune envie de manipuler son ami, il espère tout de même que celui-ci acceptera de l’écouter et de reprendre leur amitié là où ils l’avaient laissé. Il faut dire qu’avec son expérience de vie, le jeune homme n’a plus beaucoup d’amis, alors s’il peut éviter d’en perdre encore plus en route, cela l’arrange bien. Il lui faut quelques secondes avant de se décider à abattre son poing sur la porte. Deux coups ou peut-être bien trois, il ne saurait dire ce qu’il a fait. Il a cette impression de planer à quinze milles, ce qui est complètement ridicule en soi. Il n’hésite pas plus longtemps avant d’ouvrir la porte, conscient qu’il ne sert à rien de retarder le moment fatidique. Surtout que c’est lui qui a manigancé tout ça et à chercher à retrouver son ami. Il pénètre dans la pièce mais ne fait pas réellement attention à l’agencement de l’endroit, conscient qu’il serait impoli de tout regarder sans même prendre la peine de chercher son ami du regard. Il ne tarde d’ailleurs pas à le voir, debout près de la vitre, il semble avoir le regard perdu sur New York. Il doit avoir cette sensation d’être le maitre du monde, que l’avenir lui sourit. Et Louis l’envie un peu. Parfois, il aimerait avoir conservé cette place privilégiée. « Mais regardez qui voilà ! » s’exclame Louis alors qu’un sourire nait au coin de ses lèvres. « Monsieur le tombeur, je vois que vous vous faites attendre. J’ai été contraint de trépigner d’impatience, telles les jolies demoiselles qui te couraient après. Enfin, j’ai su que la place était prise. » Son ami se retourne et le jeune homme ne peut que laisser son sourire s’élargir. Six ans et il n’a pas pris une ride. Il est toujours le même. De toute façon, il n’y en a qu’un comme lui. « Novak. Ça me fait extrêmement plaisir de te revoir. » dit-il le plus sincèrement du monde.
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