Il l'a trouvé en rentrant du boulot. Dans un vieux magasin, le genre "tout à 1 dollar" qui n'attire que les touristes et les perdus. Il trônait dans la vitrine poussiéreuse, ce petit panneau de fer semblable aux panneaux de signalisations et qui montrait une image de saucisse avec des yeux, personnage de cartoon criant dans une bulle "i'm a wiener". C'était ridicule, ça l'avait pas fait rire. Mais Gal étant ce qu'il est, il s'était décidé de l'acheter et à l'offrir à Paula durant leur rencontre le lendemain. Soit elle comprenait pas et ça marchait, soit elle comprenait et trouvait ça complètement absurde. Quand il rentra chez lui, le vélo sous le bras, le panneau bien au chaud dans son sac, il retrouva la froideur de l'appartement et les regards plein de peine des tableaux qu'il avait fini récemment. Les regrets se mêlèrent aux volutes de cigarettes qu'il regardait d'un oeil absent. C'était une idée à la con d'offrir un cadeau, surtout pour ce qu'ils allaient faire de cette rencontre. Gal il avait pris goût, dégoût, à ce genre de relation éphémères. Pas d'attaches, pas de complications. C'était un moyen comme un autre d'oublier les yeux de Cara, le mal qu'il lui avait fait, et la vie de merde qu'il se tapait tous les jours. Allongé dans son lit, la clope contre les lèvres, il souffla un long moment avant de trouver le sommeil.
New-York était plus simple quand on se déplaçait à vélo. Gal il avait des bleus plein des les jambes à force de frotter contre les voitures et les bus. Et il avait arrêté de compter le nombre de doigts qui se dressaient sur son passage alors qu'il zigzaguait entre les bagnoles. Dans ses oreilles la voix entraînante de Little Richard qui couvre le bruit de la circulation. Et dans son sac le panneau de fer qu'il avait regardé pendant de longues secondes ce matin, en se demandant si il devait vraiment l'amener avec lui. Il avait fait des efforts Gal, la chemise blanche, les manches retroussées, un pantalon propre ne portant aucune traces de sauce. Son frère le regarda d'un oeil intrigué quand il débarquera au bureau, parce que Gal ne s'habille jamais vraiment comme il le faut, même pour le boulot. Il se devait de faire bonne impression, même pour quelque chose d'aussi simple qu'une rencontre comme celle-ci. Ils parleraient peu, trop occupés à autre chose. Et pourtant il avait une boule dans l'estomac, comme avant toutes les rencontres. L'ombre de Cara traînant toujours dans un coin de son esprit. Paula lui avait communiqué la position de son food-truck, et Gal trouva rapidement son chemin dans la jungle urbaine.
Le vélo attaché au coin de la rue faisait tâche dans le décor. C'était la propriété de la banque, il avait des couleurs dorés, argentés qui puaient l'argent et la suffisance. Et malgré toutes les discussions qu'il avait pu avoir avec son frère, ce dernier n'avait jamais accepté que Gal change de vélo. "C'est la marque de la banque, tu dois la représenter" qu'il avait soufflé lourdement entre ses lèvres. Dans son appartement miteux le vélo était la chose la plus chère qu'il possédait, et il serait sûrement retrouvé étranglé si il le perdait. Gal, les mains dans les poches, l'attitude relâchée d'un gars plein de stress, mis quelques secondes avant de repérer le camion. Il s'approcha lentement, cachant l’appréhension derrière un sourire à la con. De loin le camion semblait vide, mais plus il s'en approcha plus il remarqua les deux pieds qui sortaient de la porte arrière. Sourire aux lèvres il appuya sur la sonnette du comptoir. "On m'a dit que c'était les meilleurs hot-dog de New-York et y'a personne pour accueillir les clients". Sa voix était teintée d'une confiance en soit bancale, un peu tremblante. Et pourtant le sourire, un peu con, ne quittait pas ses lèvres.