hate is foolish. and love is always wise.
Introduction: Somewhere only we know... Glasgow, Ecosse.
Le silence d'une nuit implacable. Pleine lune. Quelques hiboux hurlaient au désespoir alors que la campagne alentour restait inerte, seuls vestiges d'une vie journalière, l'herbe montante des champs qui virevoltait au vent soudain d'un soir d'été. Et deux âmes, deux misérables vies qui n'avaient que faire de la beauté naturelle de l'horizon. Ils erraient, aussi bruyantes que le silence, lui, était d'or. Le chemin semblait sinueux alors que le brouhaha de leurs voix faisaient trépasser les cris stridents des hiboux perchés sur leur abri de fortune. Les yeux perçants de l'oiseau exprimaient d'ores et déjà la tortueuse haine que ces deux âmes pouvaient inspirer autour d'eux. Des yeux jaunes, vivaces qui laissaient transparaître l'insignifiance dans les ombres qu'ils observaient au loin, sur la route. Le silence avait laissé place au déferlement des éléments. Un coup de tonnerre au loin, la foudre qui laissait ses zébrures envahir le ciel, élément caractéristique qui constituerait probablement le coeur de l'histoire d'une âme en perdition. Comme le bruit sourd d'une ceinture sur la chair fraîche. Encore et encore. Inexorable torture dont le bruit laissait des marques indélébiles aussi bien sur un corps que sur un esprit. Mais ces deux âmes n'en avaient pas la moindre idée, ils ne réalisaient pas encore qu'un avenir brillant ne tenait pas à de la pitié ou à une quelconque rédemption illogique. Ils amenaient une âme en prison, le fruit de leur chair et de leur sang dans la pire geôle qui pouvait provoquer la folie chez les esprits les plus faibles. Pour autant, ils continuaient d'avancer, ahanant. Et eux riaient aux éclats et pour cause... L'héroïne coulait dans leurs veines abîmées, détruites par un espoir déchu. Héroïne, le nom de la mort sous sa pire appellation. Puisqu'ils mourraient, tous deux, peut être pas au petit matin mais lorsque l'orage aura quitté la vieille Ecosse, ayant annihilé toutes traces de pêchés dans le coeur des vaillants habitants de cette région pittoresque. Ils n'en avaient que faire du panier qu'il traînait avec eux, parmi les débris de leur nuit de débauche. Une bouille rose, des yeux d'un bleu ravageur, électriques, la bouche animée d'un sourire qui le quitterait bientôt, à l'orée de ce chemin. Enfin, la bâtisse apparaissait au loin et le hibou voyait de son habitat naturel l'allégresse qui crevait le coeur des âmes en peine. Enfin, un fardeau en moins. Enfin, la liberté dans son plus pur état. La brune aux yeux verts toqua à la porte, tremblotante. Les yeux bleus du brun, eux, ne cillaient pas, déterminés à voir disparaître le fruit d'un dérapage pour le moins incontrôlé. Un individu sans visage ouvrit le loquet et entrebâilla ce qui le séparait du monde extérieur, depuis une décennie. Sans visage, froid, les traits tirés par des rides qui naissaient sous des yeux noirs, abyssaux, une robe longue, noir de jais, seul le blanc de ses chaussures contrastait avec le noir malheureux des yeux malsains. Ce fut un sourire franc qui accueillit les deux rois de la pénombre alors que le hibou hululait à la mort. La fin d'un voyage. La douleur était royale, oui, alors que les nouveaux libres laissaient le panier sur le pas de la porte, se détournant, sans un regard de regret ou de déception, aucun. Le silence était de nouveau là, les yeux jaunes du hibou étaient d'ores et déjà partis chasser. Le petit matin arriverait bientôt, la foudre avait trouvé une nouvelle contrée à défricher. La vie reprenait son cours. Le destin reprenait son droit, la peur se lisait déjà dans les yeux électriques du jeune garçon. Et il avait de quoi prendre peur, croyez-moi.
Chapter one : I just can't stop loving you... Glasgow, Ecosse.
La vie dans un orphelinat n'était jamais aussi belle que l'on pourrait le croire. En Ecosse comme ailleurs. Le dénominateur commun entre tous les orphelinats de ce monde était la violence. Elle était constante, multiforme et venait prendre à la gorge les gamins les plus faibles. Il y avait les gros durs, les forcenés et puis, il y avait les autres: les gens différents. Malheureusement pour Elio, il faisait partie de la deuxième catégorie. Plus petit que la moyenne des adolescents de son âge, il était souvent le fruit des moqueries les plus sauvages. C'était la vie en foyer et même si les surveillants tentaient de faire régner l'ordre, il y avait toujours un tas de choses qui se passaient en coulisses. Derrière les portes closes des dortoirs et du gymnase. Elio avait une peur folle de la nuit, peut être parce qu'on l'avait abandonné un soir orageux de pleine lune, ou peut être parce qu'il savait ce qui l'attendait dès la nuit tombée. Dès qu'il entrait dans le dortoir où résidait quatre autres garçons, Elio savait qu'il souffrirait. Edward était là, il était toujours là et à peine eut-il refermé la porte derrière lui qu'il le chopa par le col pour le balancer contre la porte, le regard noir de haine. Quand cette haine avait-elle commencé? Elio ne s'en rappelait que vaguement... Ah si, deux ans plus tôt, le jour de ses treize ans. Elio s'était fait son seul et unique ami au foyer: Wyatt. Le fameux jeune homme ne parlait presque jamais, passait son temps à trembloter et finissait toujours par manger ses repas par terre au lieu de se mettre à table avec les autres. Elio se rappelait tout à fait du jour où ils étaient devenus amis. Edward balançait des bouts de pain sur le pauvre Wyatt et Elio regardait la scène se jouer du coin de l'oeil. Sans rien faire. Il ne parlait à personne ce cher Hamilton, jamais à personne et tout le monde le regardait de loin ne sachant pas trop s'ils devaient se méfier ou au contraire le pourrir... Alors que ce cher Edward lâcha un
"Sale PD, t'aimes ça hein dans les douches avec le vieux Castlebury!" Elio se leva d'un bond et lui fourra son poing dans les dents. La scène se déroula trop vite pour être tout à fait assimilé par tout le monde mais c'est ce jour là que tout avait commencé... Ce jour là qu'Elio réalisait que ce foyer créerait sa perte. Alors qu'Edward serrait sa main autour de sa gorge, Elio le défiait du regard, il l'avait toujours fait mais sans parler cela dit. Jamais parler. Ne pas entrer dans ce fichu jeu.
"Bah alors Hamilton, quand est ce que tu la sors ta langue hein? Quand?! Me dis pas que toi aussi tu décides de la sortir que dans les vestiaires hein..." Elio ne comprenait pas cet acharnement, il ne comprenait rien à cette histoire mais il jeta un regard vers Wyatt, assis sur son lit, recroquevillé sur lui même qui tremblait comme jamais. Elio reposa son regard azur sur l'homme qui le tenait toujours contre la porte, il n'aurait clairement pas dû le défier ainsi, il savait qu'il allait le payer. Edward retira sa ceinture, la serra entre ses poings, claqua des doigts et ses deux acolytes le tinrent par le bras alors que le gamin de dix sept ans s'acharnait dans son dos, sur ses bras, partout où il arrivait à l'atteindre. Hamilton hurla de douleur mais personne n'entendit. Personne n'entendait jamais rien dans cet orphelinat. Et pour rester sur Terre, parmi les vivants, Elio, agenouillé, capta le regard de Wyatt qui lui, pleurait. C'était cela la vie à l'orphelinat. Soit on acceptait et on était laissé de côté, soit on défiait les maîtres et on souffrait. Elio avait choisi la deuxième solution bien malgré lui.
Le coach siffla la fin de l'entraînement et félicita un par un les joueurs de son équipe. Le basket, c'était devenu sa passion durant les deux dernières semaines. Le reste de l'équipe s'amusait sur le terrain depuis déjà plusieurs années et vu les éclats qu'Elio faisait en cours, les professeurs et surveillants avaient décidé que le sport l'aiderait à extérioriser. Et cela marchait. Au bout de deux semaines, le jeune Hamilton avait déjà arrêté de répondre en classe et se comportait même comme un ange. Il avait les yeux d'un ange, le sourire également, on lui donnerait le bon dieu sans confession, c'était une évidence mais au fond de lui, il était dur comme l'acier. A force de se faire frapper, Elio ne lâchait plus un seul juron, plus un seul cri, il acceptait son destin, tout comme il acceptait que ses parents l'avaient laissé à crever ici parce qu'ils étaient des héroïnomanes de première catégorie. Il encaissait. Et il souriait. Assis sur le banc de touche, il se mit à applaudir après l'annonce de la fin de la séance. Il se releva pour se diriger vers le vestiaire mais Edward lui balança un coup d'épaule bien placé et il finit à terre... Wyatt lui tendit la main pour le relever, de la sueur plein le front mais un sourire aux lèvres. Il était toujours stressé à la fin des entraînements, Elio sentit ses muscles se crisper alors qu'il se remettait sur ses jambes avant de suivre ses coéquipiers dans les vestiaires. Hamilton ne comprenait jamais cet instant là, le moment où tout le monde se stoppait devant son casier en train de prier, tout le monde sauf Edward qui s'allumait toujours une clope en se marrant du spectacle. Elio commença à sortir les affaires de son casier alors que le coach entra dans la pièce, le silence se faisant instantanément chez les autres athlètes, pas Elio qui continuait de trier ses fringues sans faire attention.
"Hamilton. Mon bureau. Maintenant." Et Wyatt se mit à trembler comme une feuille avant de s'écrouler sur le banc, c'était du soulagement ou de la désolation? Impossible de le savoir à vrai dire. Edward, lui, regarda Elio avec un franc sourire avant de se diriger vers le coach, lui faisant passer quelque chose... Un billet, semblait-il. Et le coach disparut, Elio le suivant jusqu'à son fameux bureau. Tout le monde venait dans son bureau dans l'équipe, un nom était appelé à chaque entraînement depuis qu'Elio avait rejoint l'équipe, pour lui, c'était une première. Il n'avait aucune espèce d'idée de la teneur des conversations entre ces quatre murs, probablement une histoire de tactique sur le terrain ou quelque chose du style... Il ne croyait pas plus se tromper.
"Bon, Hamilton, je vais t'expliquer comment ça va se passer brièvement. Aujourd'hui, c'est ton jour d'initiation, il y aura qu'après ça que tu seras un membre de l'équipe à part entière, tu piges? C'est simple, soit tu te laisses faire, tu parles à personne de notre petit engagement et ton dossier sera sur le haut de la pile pour une probable famille d'accueil... Soit tu protestes et toi et moi, on risque d'avoir un problème de taille, tu vois." Elio ne comprenait pas un traître mot de ce que Castlebury voulait dire, cet espèce de mec bizarre de quarante piges qui venait de New York apparemment et qui était coach ici depuis environ deux ans.
"Je suis désolé, coach, mais on parle de quoi exactement? D'un futur tatouage?" Il ne pouvait jamais s'empêcher de sortir des vaseuses pourries quand il ouvrait la bouche, ce qui était assez rare relativement. Le coach se mit à rire alors qu'il se rapprochait de lui, venant se coller à lui sans gêne.
"Pas exactement, Hamilton, pas exactement..." Et quinze minutes plus tard, Elio ressortait du bureau comprenant la définition du mot humiliation désormais. Et comprenant par la même occasion, implicitement, ce qui arrivait aux enfants de l'équipe depuis le début, ce qui expliquait le comportement associable de Wyatt... Le traumatisme était là, il les bouffait tous de l'intérieur. Et Edward dans tout cela? Il payait le coach chaque semaine pour ne pas faire partie des victimes, en silence. Même si au fond, tout le monde savait ce qui se passait. Mais personne ne faisait rien, comme toujours dans ce foyer.
Chapter two: I'm on the pursuit of happiness... New York & ses environs, USA.
Cette mascarade avait duré encore quatre mois. Finalement, Elio n'avait pas dû tenir plusieurs années, contrairement à Wyatt qui se fragilisait de plus en plus chaque jour. Et puis, tout s'était arrêté. Du jour au lendemain. Le coach avait disparu sans laisser de traces, personne ne l'avait cherché, l'équipe s'était disséminée et la vie avait continué malgré les traumatismes qui restaient présents dans les esprits. Et du jour au lendemain, alors que Wyatt et Elio avaient bientôt seize ans, on les appela dans le bureau du directeur. Hamilton pensait que le foyer avait découvert le pot aux roses... Mais non. On voulait tout simplement les prévenir qu'une famille était intéressée pour les prendre. Tous les deux. Elio fit des yeux ronds alors qu'une vieille femme entrait dans la pièce, un sourire aux lèvres.
"Bonjour, les garçons..." et deux semaines plus tard, ils étaient aux USA. A New York, prêts pour une nouvelle vie, un nouveau chapitre loin de l'horreur qu'ils avaient connu à Glasgow. Chez les Moureau. Une bonne famille mais ils n'avaient jamais pu avoir d'enfants. Ils se confortaient en choisissant les cas les plus désespérés dans les foyers reconnus histoire de leur donner une chance, c'était des super héros des temps modernes en somme. Les deux amis avaient de la chance d'avoir été choisis, clairement mais pourtant, la vie n'était toujours pas rose... Elio s'endurcissait de jour en jour, ne communiquant pas avec ses nouveaux parents alors que Wyatt était au bord du gouffre, leur amitié s'en ressentait, c'était atroce.
"Bon, Wyatt, bouge toi, combien d'années il va te falloir pour passer à autre chose hein? T'es en vie bordel, on n'est plus en Ecosse, regarde, y a les oiseaux qui chantent dehors, lève toi et ouvre les volets, ça pue la merde ici, t'as foutu quoi dans ta chambre?" Pas de réponse. Elio lâcha sa clope encore allumée dans le cendrier qui traînait sur le bureau de fortune de Wyatt et alla ouvrir la fenêtre sans attendre l'approbation de son ami. La lumière perça dans la pièce et Elio regarda le soleil s'étaler sur la ville, un sourire aux lèvres et ses yeux bleus pétillants.
"T'as vu ça? C'est d'une beauté, putain." Il avait presque dix huit ans maintenant et il commençait tout juste à découvrir les beautés de la vie. Il voulut se retourner pour partager ce moment avec son meilleur ami mais son regard tomba sur un corps inanimé. Il se rapprocha, son sourire s'évanouissant et il réussit à faire un calcul dans son crâne. Une seringue, un élastique... Héroïne. Ce connard de Wyatt se shootait dans son dos depuis qu'ils étaient arrivés ici et il était en train de crever, bordel.
"Non, putain, réveille toi, crève pas là! Pas après tout ça, Wyatt! T'as pas intérêt à me laisser, saloperie!" Il dut réfléchir et vite. De la solution saline, quelque chose alors qu'il pianotait sur son téléphone pour appeler les secours et gueulait quelque chose dans l'escalier pour prévenir sa famille d'accueil. Connard de merde de Wyatt, bordel.
Mais il avait survécu. Contre toute attente, il était vivant. Et il était même réveillé. On invita Elio à rentrer dans la chambre et d'un pas discret, il vint s'asseoir sur la chaise à côté de son ami. Pas un bruit, pas un mot, juste un regard insistant alors que Wyatt avait les yeux fixés au plafond. Ils n'avaient pas besoin de parler, Elio comprenait. Il avait vécu ce que son ami avait vécu, moins longtemps certes mais il comprenait. Il avait encore sa chair à vif rien qu'en retrouvant certaines images qu'il préférait occulter. C'était là la différence entre les deux adolescents: là où Elio vivait dans l'ignorance et l'oubli rapide, l'intériorisation facile en somme, Wyatt était incapable de contenir ses émotions alors que c'était la principale leçon que l'on devait apprendre au foyer... Ne jamais se montrer faible. Mais il n'y arrivait pas. Il n'y était jamais arrivé. Et soudainement, il craqua, il se mit à pleurer et Elio se releva, sans un bruit et il le prit dans ses bras, sans rien dire. Il n'avait pas besoin de parler, il savait tout et son étreinte autour des épaules de Wyatt l'aidait lui aussi à survivre. Il avait mal autant que lui, putain, qu'il avait mal. Mais pas une larme ne jaillit de ses yeux. Rien du tout. Juste un regard froid alors que Wyatt tremblait dans ses bras...
"J'ai mal, Elio, putain, j'en peux plus. J'y pense sans arrêt, il me hante, il est là... Il va venir me chercher, je le sais." Et Elio ne pouvait que lui dire que c'était faux, que jamais il ne viendrait, même s'il n'en était pas totalement persuadé parce que tout le monde dans l'équipe savait que Wyatt était son préféré. Il le serait toujours. Et Castlebury était là, quelque part, à l'attendre. Et Elio sut à cet instant là qu'ils ne seraient jamais en paix et qu'un jour ou l'autre, Wyatt s'échapperait de son emprise et qu'il ne pourrait rien pour le sauver, qu'il ne pourrait plus rien pour lui...
Et c'était arrivé, effectivement. Une année plus tard. A l'aube de leurs dix neuf ans. Elio n'avait rien vu venir, Wyatt avait même trouvé une petite amie, il avait fait une cure de désintoxication et il était très proche des Moureau. Il allait mieux, bien mieux que lui finalement. Qui l'aurait cru? Hamilton, lui, se tuait en silence. Dans le silence. Il allait à la faculté une fois tous les quinze du mois, il n'aimait pas cela. Il se cherchait, il cherchait sa voie et il regardait sa vie passer sous ses yeux. Et puis, un jour, comme cela, il était rentré d'une soirée arrosée à près de six heures du matin et Wyatt n'était plus là. Sa chambre était sans dessus dessous et ne restait qu'un misérable mot, rien que cela de lui...
"J'ai besoin de partir, j'ai besoin d'autre chose. Il m'a trouvé." Elio avait compris qu'il ne le reverrait jamais, dieu seul savait où il était parti mais pourtant, il ne s'inquiéta pas... Il aurait dû. Il était con, putain qu'il était con. C'était sa faute si Wyatt avait souffert un peu plus. Il aurait pu le sauver. Il aurait dû.
Chapter three: Every breath you take... New York & ses environs, USA.
Une idée de merde avait germé dans le crâne d'Elio. Devenir flic. Et c'était resté coincé là, entre son cerveau gauche et le droit et il avait atterri à l'académie, sa clope au bec, sa veste en cuir sur l'épaule, prêt à devenir un mec important, un sauveur des temps modernes. Il ne parlait toujours pas beaucoup, en vérité, Elio n'arrivait à faire confiance à personne, il se méfiait de tout et tout le monde alors il préférait se murer dans le silence. Et ce n'était pas pour autant qu'il était mauvais, au contraire. Il était consciencieux, il aimait cela, cette idée de devenir quelqu'un de bien, au lieu d'être le mec aveugle qui laissait les gens souffrir, les Wyatt de ce monde crever en silence. Et finalement, il avait fini par arriver sur le terrain avec une bande de flics déjà expérimentés. Bien entendu, il était le petit nouveau, le gamin et on ne lui faisait pas confiance avec une arme et un badge. Surtout pas Antoine, il aimait bien l'emmerder à longueur de journée, lui laisser de la merde de chien dans son casier et ce genre de conneries... Sauf que cela ne s'arrêtait pas là, rien ne s'arrêtait à cela dans la police. La brigade était sur un coup, un trafic de drogues à démanteler et donc une intervention à opérer. Tout le monde se prépara pour l'événement, Elio en premier. Il ne parlait toujours pas, se contentait de vérifier ses armes alors qu'Antoine s'adossait à son casier, un sourire aux lèvres.
"Tu sais petit, quand on arrivera dans le feu de l'action, quand je balancerai un "Ouistiti", ça voudra dire que c'est le moment d'y aller, OK? Je t'apprends les codes pour qu'on soit tous d'accord hein!" Elio hocha la tête alors qu'Antoine lui tapotait l'épaule en se marrant. Hamilton tourna la tête et aperçut Romeo, les bras croisés en train de l'observer en silence. Depuis qu'il était arrivé à la brigade, il avait cette habitude là et Elio n'en était pas dérangé, il savait qu'on se posait pas mal de questions sur lui et sa capacité à gérer les situations d'urgence. Après tout, personne ne savait rien de lui sauf son nom, qu'il était écossais de base et qu'il avait eu une facilité déconcertante à s'acclimater au pays. Dix minutes plus tard, ils arrivèrent au squat correspondant, s'infiltrant toujours un peu plus dans le bâtiment, chaque flic alla se cacher derrière son coin de bâtisse alors qu'un coup de sifflet sortait de nulle part... Cela n'était pas dans le plan et c'était à e moment là que Elio entendit le fameux "Ouistiti!" et sortit de sa cachette tombant nez à nez avec trois types armés jusqu'aux dents. Cela non plus, ce n'était pas dans le plan. Clairement pas. Elio entendit gueuler derrière lui et quelqu'un se jeta sur lui pour le virer de sous le feu des projecteurs. Il tomba à terre, Romeo à côté de lui, bordel de merde, cela chauffait sévère dans le coin, des coups de feu étaient tirés de tous les côtés et Romeo se releva, lui tendant la main pour le remonter sur ses jambes. Et instantanément, quelque chose cliqua, ils étaient sur la même longueur d'ondes, Elio pouvait lui faire confiance. Cette opération finit par être un succès pour la simple et bonne raison qu'instinctivement, les deux flics développèrent des codes et des tactiques gagnantes. Le lendemain, Antoine était viré de la brigade, non sans s'être pris une rafale d'insultes par Romeo. Il avait tout perdu cet abruti... Mais Elio avait bien failli y passer, mine de rien.
Et ils étaient devenus partenaires. Mais pas le genre de partenaires qui bossaient ensemble et rentraient chez eux en oubliant l'existence de l'autre, non, plutôt le genre de partenaires qui se comprenaient sans se parler, qui s'aimaient tellement qu'on aurait dit qu'ils ne formaient qu'un seul et même être dans deux corps différents. C'était un peu flippant d'ailleurs parce qu'ils n'avaient qu'à se regarder et l'un devinait ce que l'autre voulait dire ou pensait pendant l'instant... Il n'y avait qu'un frein à tout cela, l'isolement à répétition d'Elio. Son passé sombre revenait le hanter, comme cela, au détour d'une affaire quelques années après son entrée dans la police. Un dossier atterrit sur le bureau de la brigade, un truc important, une affaire qui déboulait et qui vous prenait aux tripes pour ne plus vous lâcher. Elio arriva en retard au briefing et il s'assit au fond de la salle alors que Romeo, adossé contre le mur, les bras croisés lui jetait un regard en coin en hochant la tête pour lui dire bonjour. Hamilton avait encore son pain au chocolat dans une main, sa tasse de café dans l'autre alors qu'il murmura à l'oreille de son partenaire.
"Merde, j'étais chez quelqu'un, je sais même pas qui c'est... J'ai fait fort hier, putain, t'aurais dû rester jusqu'à la fin, c'était du lourd dans le bar. Bon, j'ai loupé quoi là?" Elio ne se doutait pas qu'il allait crever. Littéralement crever en se mettant à l'ordre du jour. Romeo se tourna vers lui, l'air grave.
"Un enlèvement. Une histoire de réseau pédophile d'envergure, écoute le topo du boss, tu vas comprendre." Et là, Elio laissa tomber son café à terre en apercevant la photo scotchée au tableau blanc avec le nom en dessous: WYATT MCNELLY. Juste en dessous, s'alignaient au feutre rouge tout un tas d'informations qui eurent du mal à s'incruster dans son esprit. Drogue. Réseau. Ecosse. Suisse. Héroïne. Prostitution. C'était du lourd. C'était impossible, putain, impossible. Il ne faisait même pas gaffe que le café était en train de le cramer à travers son pantalon.
"C'est simple sur le papier. On a un type de vint cinq piges, Wyatt, porté disparu par ses parents depuis près de cinq ans maintenant. On a mis ça dans les affaires non classées depuis, on a cru à une fugue comme tout bon gamin qui sort de foyer... Sauf qu'on a de nouveaux éléments, les gars, du lourd! La semaine dernière, on a croisé ce dit Wyatt à cinq kilomètres d'ici, il a arrêté une passante pour lui demander de l'aide, il avait l'air stone, un vraie junkie de première, c'est évident. Sauf que le lendemain, dans un immeuble non loin de ce point, une dame a appelé les flics... Elle a retrouvé dans l'appartement voisin des biens qui appartiennent à ce cher Wyatt, des photos compromettantes qui laissaient penser qu'il était la victime d'un bourreau depuis plusieurs années. Et puis, un ordinateur... On a un psychopathe sur les bras, les gars, un pédophile qui n'hésiterait pas à torturer un gamin jusqu'à l'âge adulte. On a toujours pas d'infos sur le suspect cela dit. On fouille. Je compte sur vous pour gérer l'affaire. Allez, au boulot!" Et tout le monde sortit de la salle, un par un, reprenant sa routine comme si rien de tout cela n'était grave, comme si cela ne les atteignait pas. Et Elio resta là, à fixer le tableau, comme un con. Pendant cinq minutes. Finalement, il entendit Romeo l'appeler, arrivé à la porte.
"Eh ça va? Oh, Elio, je t'appelle! Tu viens?" Et il le suivit, le pas hésitant, le regard dans le vide. Il crevait à l'intérieur. Il ne comprenait pas. Il avait fait cela à Wyatt... C'était sa faute.
Ils avaient fini par retrouver sa trace après des semaines d'enquête, des mois entiers où Elio ne dormait pas une seule seconde. Il passait ses nuits au poste à refaire le chemin dans tous les sens grâce aux quelques indices qu'il avait. Il n'avait parlé à personne de Castlebury, il voulait résoudre cette enquête seul, c'était son devoir. C'était Wyatt, bordel. Et puis, son bipper sonna. L'affaire était lancée. Et comme il était déjà debout, ni une ni deux, il se lança dans la voiture de service et arriva sur les lieux avant le reste de la brigade. Elio était con, il jouait au con à entrer sur les lieux du crime avant tout le monde. Mais il s'en fichait, c'était bien trop important. Son arme à la main, il respecta le protocole alors que le silence devenait implacable. Et là, on le chopa par l'épaule pour l'entraîner dans une pièce. Elio tomba nez à nez avec un Romeo énervé comme jamais.
"Tu fais quoi là bordel? Pourquoi t'y vas tout seul? On attend les renforts, c'est le premier truc qu'on apprend dans la police, tu me l'as jamais faite celle là. Il t'arrive quoi sérieusement? Ca fait trois mois que t'as pas souri, que tu causes pas et que tu pionces au poste. Relâche la pression, eh, c'est qu'une affaire hein! On coincera le type et la vie continue!" Sauf qu'Elio se détacha de lui, le regard mauvais, il allait y retourner, sans son partenaire, cela ne le regardait pas, il le faisait chier d'ailleurs.
"Putain mais lâche moi la grappe à la fin! On bosse ensemble, OK, mais c'est pas une raison pour que tu me colles comme si t'étais ma mère, merde!" Et en plusieurs années, jamais, Elio n'avait parlé comme cela à Romeo. Jamais. Et ni une ni deux, Romeo le chopait par le col, le poussant contre le mur, pour le calmer. Elio serra la mâchoire alors qu'il allait s'apprêter à lui foutre son poing dans la gueule mais il s'arrêta en chemin en croisant le regard de l'italien. Le moment fut intense, Elio en perdit toute sa colère, il en perdit toute sa hargne pour afficher un regard empli d'affection pour son partenaire. Et puis, le carnage, des coups de feu, un cri et les deux flics étaient dans le couloir, l'arme à la main. Romeo alla à droite et Elio choisit la gauche... Ils auraient dû certainement faire l'inverse. Hamilton tomba nez à nez avec le corps de Wyatt. Sans vie. Calciné. Au milieu de la pièce. Le résultat était atroce, il avait été battu à mort, il avait souffert. Elio se détourna et alla vomir dans un coin de la pièce, tombant à terre et cognant contre le mur. Il resta là, en perdant la notion du temps alors qu'il frappait de colère contre le béton froid. Ses mains saignaient et pour finir, quelqu'un le chopa par le col, le releva, lui chopa le visage entre ses mains et l'obligea à le regarder. Le regard sombre de Romeo. Et là, Elio se mit à pleurer toutes les larmes de son corps, se perdant dans les bras de son partenaire. Combien de temps? Il n'en savait rien mais lorsqu'il reprit possession de son corps, il se détacha légèrement de son partenaire qui le regardait, inquiet.
"Il est où ce fils de pute? Il est où? Tu l'as chopé? Je veux le buter, dis moi où il est, bordel!" Et Romeo ne le relâcha pas. Pas une seconde. Il tenta de capter le regard d'Elio, calme comme jamais.
"Dans la pièce à côté. On fera comme tu voudras. Tu le sais ça?" Et là, sans avoir dit un mot, Elio sut que Romeo avait fait le rapprochement, il sut qu'il avait compris. Il connaissait son histoire... Il avait dû remonter jusqu'à lui d'une façon ou d'une autre. Après tout son nom était dans les archives de l'orphelinat, dans les papiers de l'adoption des Moureau, il devait le savoir depuis ce soir là. Quelques heures auparavant et c'était pour cela qu'il était arrivé sur les lieux aussi vite... Il avait résolu l'enquête, Romeo, c'était son partenaire, c'était son double, la deuxième face de sa pièce de monnaie et Elio n'avait plus que lui dans sa vie. Maintenant que Wyatt était derrière eux, mort. Elio quitta la pièce, son partenaire silencieux sur ses talons pour arriver dans la pièce d'à côté. Il y avait Castlebury, menotté et une corde entourée autour de lui, sur une chaise, Romeo savait faire le boulot correctement, c'était certain. Elio le regarda avec un dédain incroyable alors qu'il se postait devant lui, les poings serrés. Ce type l'avait ruiné. Il avait tué Wyatt. Il allait le buter, c'était forcé... Mais rien ne vint. Tout ce qu'Elio fit, c'était lui cracher à la face et il sortit de la pièce au moment où les renforts arrivaient, Romeo le suivit au dehors et vint se poster à côté de lui, en silence. Ils n'avaient pas besoin de parler, ils n'en avaient jamais eu besoin.
Et la vie avait suivi son cours encore une fois. Elio tentait de vivre malgré tout, malgré cette putain de souffrance au fond de lui, malgré l'impression de n'avoir que Romeo pour le faire se sentir en vie. Et même cela, c'était la merde. Cela faisait déjà un sacré bout que son partenaire était en infiltration quelque part vers San Diego et Romeo n'était qu'un agent de liaison sur l'affaire. Il ne le voyait quasiment plus depuis, il ne pouvait pas lui griller sa couverture. Il se sentait seul au monde, démuni... Et puis, un jour, il avait appris. Pour Luca, le frère de Romeo. Et il avait dit merde à leur boss, merde à la couverture et il avait appelé son partenaire. Il l'avait rejoint dans une ruelle, l'avait regardé dans les yeux quelques secondes, sans sourciller et l'italien avait vite compris que c'était grave. Et Elio, les mains dans les poches, le bonnet bien vissé sur son crâne, y alla sans le ménager, il savait que cela allait être dur de toute manière.
"Je sais qu'y a des risques, je suis venu et tu le sais, c'est pas pour rien. Le boss m'a fichu un averto d'ailleurs mais je lui ai dit que je m'en foutais, que je devais te voir... C'est Luca... On l'a buté. Je suis désolé, putain, je suis désolé, mais il fallait que je te le dise. Il fallait que tu saches, bordel." Et c'était cela d'être flic, c'était souffrir sans discontinuer pour tout un tas de raisons. On foutait sa famille en danger, on prenait des risques à la con et on le payait tous un jour ou l'autre. Pour preuve, Elio arrivait à ses trente six ans et il était toujours seul. Tout ce qu'il avait comme visite, c'était Romeo qui squattait son canapé, le divorce était proche, puis les autres italiens de la famille... C'était la merde, tout était parti en vrille en chemin et ils n'avaient plus qu'eux, bordel. Plus que des souvenirs, en somme.