A table, je ne peux pas m’empêcher de la dévisager avec son sourire presque parfait et sa coiffure travaillée à la perfection. Elle m’ennuie, m’agace. Toujours parfaite, elle s’est toujours arrangée pour être au centre de l’attention, pour être celle qu’on admire, celle qu’on adore. A côté d’elle, j’ai toujours été un moins que rien, une erreur de la nature. A côté d’elle, ma mère semble comblée, ravie. C’est frustrant, agaçant. « Il est parfait. Gentil, attentionné, l’homme idéal. » Sans pouvoir m’en empêcher, je lève les yeux au ciel. A côté de moi, mon père semble sur un petit nuage. L’idée que sa petite fille chérie ait pu rencontrer l’amour de sa vie semble le combler. Je me demande s’il serait aussi heureux si c’était moi qui leur avais annoncé ce genre de nouvelle. Sauf que moi, contrairement à elle, je n’ai jamais été du genre à me vanter, à me pavaner. Parfois, je me demande comment on a pu être si différents elle et moi. Elle est tellement parfaite, tellement énervante. J’aimerais, pour une fois, qu’elle se mette à ma place. Malheureusement pour moi, elle n’a jamais été du genre à se remettre en question. Sûre d’elle, elle n’a jamais réellement eu peur de l’échec. Sans doute parce qu’elle n’a jamais échoué à quoi que ce soit. Contrairement à moi, elle n’a aucun défaut, aucune faiblesse. Moi, je suis tout ce qu’elle n’est pas ; à savoir banal. Je suis celui qui se fond dans la masse. Celui qui a une belle gueule mais qui n’a jamais rien de bien important à dire. Je suis le mécanicien, le vilain petit canard. Contrairement au reste de ma famille, je gagne ma vie en plongeant mes mains dans la graisse et le cambouis. J’ai beau être issu d’une famille de bourgeois, je n’en suis pas moins un gars lambda qui a grandi à Dublin et qui ne s’est jamais réellement débarrassé de son accent. Je suis celui avec qui on rit, celui avec qui on couche mais jamais celui qu’on cherche à épouser. Je me demande ce que mes parents penseraient de moi s’ils se donner la peine de me connaître. M’admiraient-ils comme ils l’admirent elle ? J’en doute. Pour eux, je ne suis rien d’autre que celui qui se contente du nécessaire, celui qui gâche sa vie et qui n’a aucun avenir. Je suis celui qu’on laisse tranquille. Celui qu’on a laissé sur le bas côté. Et le pire dans tout ca, c’est que j’en suis heureux. J’ai beau aimer mes parents, on a jamais réellement été proches eux et moi. Constamment en déplacement, ils passent que très peu de temps à New-York. Ce qui est assez ironique quand on pense qu’on s’est installé ici pour eux. Pour qu’ils puissent passer plus de temps avec nous. Résultat des courses, on aura passé plus de temps avec nos baby-sitters qu’avec eux. J’aurais tellement aimé grandir dans une famille plus conventionnel, plus attentive. Malheureusement pour moi, on ne choisit pas sa famille. Et si beaucoup se sentent en sécurité et heureux quand ils sont entourés par les leurs, moi j’ai beaucoup de mal à m’y faire. Près d’eux, j’oublie qui je suis, j’oublie ce qui fait de moi un gars heureux. Car heureux, je le suis en temps normal. J’ai beau ne pas me faire des millions, je vis de ma passion et peu de gens peuvent en dire autant. Et c’est sans parler de mes potes que je vénère littéralement tant ils sont géniaux… j’aurais juste voulu pouvoir en dire autant de ma famille. « Tommy ? Tu ne félicites pas ta sœur ? » Extirpé de mes pensées, je pose mon regard sur ma mère qui, souriante, semble attendre que je lui réponde. Un sourire moqueur je finis donc par répondre : « J’attends de voir s’il est réel. De ce qu’on sait, elle aurait pu tout inventer ! Ca ne serait pas la première fois… » A côté de moi, mon père éclate de rire.  A croire que cette histoire de petit-ami imaginaire l’amuse toujours autant. Ce n’est d’ailleurs pas le seul à être amusé par cette petite anecdote. « Oh arrête Tommy ! J’avais six ans… » Face à moi, ma sœur éclate de rire avant de me faire un clin d’œil. Avec un petit pincement au cœur, je force un peu plus sur mon sourire avant de porter mon verre à mes lèvres. Ils ne sont pas horribles, ils ne sont pas parfaits… mais on s’aime. J’aimerais juste qu’ils le montrent un peu plus.  A moins que je me fasse des idées. A force de se croire différent, on peut facilement créer un faussé entre les gens qu’on aime et nous. Une chose est sûre, j’ai encore beaucoup de chemin à faire ; en tant qu’homme, en tant que fils, en tant que frère. Un jour, peut être, ma famille apprendra qui je suis réellement : un gars tout simple qui ne cherche qu’à être aimer… ça doit pas être si compliqué, si ?