C’était presque cliché de se retrouver dans un tel quartier pour tenir une association LGBT. Il était vrai que le quartier de Williamsburg possédait sa propre culture, extrêmement riche par sa diversité et son ouverture d’esprit. Les artistes de rues qui commençaient parfois à se faire un nom en créant le buzz se bousculaient, les étrangers immigrés des quatre coins du monde affluaient de partout, et dans ce tableau parfait d’un monde peut-être futur et utopique ne manquait forcément plus que les homosexuels et leurs compères qui les ressemblaient de loin ou de près. Une peinture parfaitement colorée où ne transparaissait aucun défaut. Peut-être. Mais peut-être que c’était mieux que d’avoir fondé le QG près du Central Park. Oui, bien sûr, cela aurait été agréable de pouvoir lorgner la belle verdure du par cet les gens joyeux et excités qui la foulaient du pied. Toutefois, créer une association d’une minorité encore incomprise, exclue et rejetée dans un des quartiers de New-York les plus riches, il y aurait eu un esprit bien hypocrite. Non, décidément, se réunir au milieu de ces artistes du monde, c’était un bon coup de communication.

Sunny, il pensait plus à tout cela qu’il n’écoutait l’apparent leader de l’association faire tout son speech sur sa petite estrade, qui se voulait être improvisée alors qu’à l’évidence cette organisation avait quand même de la thune. Il soupira. Qu’est-ce qu’il foutait là, putain ? Ouais ouais, il savait : soutenir la cause noble des LGBT, puisqu’il était lui-même pansexuel et actuellement dans un mariage homosexuel avec un enfant à la charge. Il soupira une seconde fois, ne se préoccupant pas de si quelqu’un pouvait l’entendre ou le remarquer. Aujourd’hui il venait se battre officiellement pour le droit des gays – et tous leurs compatriotes, on l’aurait compris –, alors que cela faisait bien quarante ans qu’il se savait ne pas être hétérosexuel, et que présentement son fameux couple n’allait pas bien fort. Quelle ironie. Pourquoi s’était-il laissé embarquer dans cette désastreuse aventure ? Faisant craquer les cervicales lorsqu’il tourna la tête, il zieuta la porte de sortie, qui était malheureusement fermée donc il n’avait aucune vision sur l’extérieur, avec envie. Le désir de s’éclipser était grand et puissant. Cependant, il se dit que, même s’il était l’homme le plus discret du monde, dans un tel silence, parce que les autres membres de l’assemblée semblaient écouter avec attention les paroles de l’autre débile qui devait se sentir puissant à avoir tous les yeux rivés sur lui, assurément il allait faire un boucan monstre. Alors, soupirant une troisième fois, il prit son mal en patience.

Lui qui n’était habituellement pas patient pour un sou – après tout, il était un enfant roi –, il fut récompensé par un buffet pour le moins alléchant. Bien sûr, ce n’était pas l’équivalent des petits plats que l’on pouvait trouver dans les soirées mondaines, mais il se doutait qu’ils pouvaient assez mal foutre toute leur thune dans de la bouffe, puisqu’ils étaient censés se battre pour une cause juste. Mais il s’en foutait. Il haussa les épaules, et cela ne l’empêcha pas de se ruer – tout en élégance – dessus, empoignant un petit four et un verre de jus de pomme. Il savait que l’alcool c’était limite, mais il n’aurait pas au moins pu mettre du cidre ? Sans déconner. Du coin de l’œil, alors qu’il était entrain de mâcher, il vit une femme, qui semblait plus jeune que lui mais pas non plus dans la vingtaine, et il ne sut pourquoi mais elle retint son attention. Peut-être parce qu’il faisait l’asocial depuis qu’il était arrivé, et qu’inconsciemment il était entrain de se dire que ce serait bien qu’il adresse la parole à au moins une personne. Il avala alors ce qu’il avait dans la bouche. « Vous ne croyez pas qu’il aurait pu faire un gâteau aux couleurs de l’arc-en-ciel ? J’sais que les colorants c’est pas très bio, mais on est dans une association LGBT et non écologique… » Ouais bref, clairement il disait de la merde, mais ce n’était vraiment pas son fort de sociabiliser lorsqu’il n’y voyait aucun intérêt, l'accent australien ressortant de plus belle. Soupirant une quatrième fois, il préféra se taire et se noyer dans jus de pomme qu’il vida d’une seule gorgée.