Andrea est maladroit, et malgré l'alcool, Chris se braque légèrement. C'est sûrement le problème quand on est le fils d'un Forbes, on ne vous laisse pas le bénéfice du doute. Il ne peut pas nier que l'argent et les relations lui ont facilité la tâche dans bien des domaines, mais il ne peut pas non plus s'en excuser. Chris travaille, et ne manque pas de talent non plus. Ce sont des acteurs qui souhaitent relancer leur carrière à qui l'on propose des rôles qui ne s'appuient pas sur des années de formation musicale, pas des fils d'architecte. Chris a très certainement étudié dans les meilleures écoles d'art du pays, mais il y a travaillé dur, avec d'autres tout aussi riches et talentueux qui représentaient une concurrence farouche.

Le brun est celui qui a eu de la chance d'une certaine manière, celle de pouvoir obtenir des rôles sans avoir consacré toute sa vie au théâtre et au chant. Le blond n'a pas envie d'argumenter cela dit, pas le jour de son anniversaire en tout cas, ça ne le mènerait pas bien loin. Il ignore donc les piques, se fait une raison. Andrea ne changera pas d'avis ce soir, mais ça ne les empêchera pas de passer un bon moment en admettant qu'ils parviennent à mettre toutes ces querelles de côté pour s'occuper de ce qui est nettement plus intéressant, à savoir l'issue de cette soirée.

Chris ne se départit pas de son sourire et descend du comptoir pour s'approcher plus près de sa doublure. D'un regard provoquant il ajoute à son intention. « Très bien, tu as raison, il y a bien mieux à faire ce soir. » Le blond pose une main sur ses hanches puis ses lèvres sur les siennes. Lorsque le baiser s'interrompt, il désigne une porte sur le côté. « Je vais me poser cinq minutes, si ça t'intéresse, tu sais où me trouver. » Sa main quitte sa hanche et il l'abandonne dans la cuisine, non sans servir un chocolat au passage.

Un léger silence suit les confidences, qui pourrait en réalité en dire long si Andrea n'était pas aussi bourré, déjà. Il le regrettera sans aucun doute dès le lendemain, parce qu'il n'est pas censé s'adonner à ce genre d'excès. Ca fait des années qu'il n'a pas bu à ce point, au point de se sentir désinhibé. Et malgré lui, il sent venir l'erreur, la bêtise. Le petit problème imprévisible ; le dérapage. Il n'avait pas prévu de s'adonner ce soir à une réflexion pratique sur sa sexualité, ni même d'explorer l'attirance qui se cache sous une bonne couche de jalousie et d'agacement envers Chris. Il ne sait pas comment exprimer toutes ces choses, ni même comment les interpréter ; mais c'est là tout l'intérêt de l'alcool, qui vous prive de faire l'un, ou l'autre, et qui vous pousse plutôt à agir sans réfléchir aux conséquences. Il soupire un peu, terminant son verre comme Chris s'approche pour clore la conversation en s'armant d'un regard légèrement provocateur. Et voilà qu'il s'approche, et Andrea sent la course des battements de son cœur qui s'accélère sensiblement dans sa cage thoracique. Chris ne s'embarrasse pas de gêne ou de réflexion, se contente de déposer ses lèvres contre les siennes, et l'espace d'un instant, Andrea reste interdit.

Il lui faut quelques secondes pour reprendre le dessus de ses ressentis, pour ouvrir ses lèvres à l'inconnu, pour lui rendre son baiser. Il étouffe un grognement frustré quand Chris s'écarte pour désigner une porte attenante à la cuisine, et acquiesce, lentement. Il ne prend pas le temps de la réflexion ; son corps n'a plus envie de réfléchir. Il a juste cette irrépressible envie de céder, de sentir le corps du blond contre le sien, de goûter ses lèvres à nouveau ; et quand il entre, à la suite de Chris, dans la petite pièce qui leur réserve son lot d'intimité, Andrea est soudain pris d'une angoisse qui lui file un peu le vertige. « Tu vas pas me planter là, maintenant que je t'ai suivi, hein ? », il demande, dans un souffle, sans filtre. Si Andrea avait été sobre, il n'aurait jamais exprimé cette angoisse à voix haute. Elle donne accès à la fragilité qui le fait vriller parfois ; à cette insécurité permanente qui nourrit son complexe d'infériorité. C'est là le plus grand paradoxe du brun, sans doute. La capacité d'avoir tellement envie d'être le meilleur partout ; et l'insistance à taire les moindres défauts composant sa personnalité. Il rompt la distance entre eux, s'approche timidement du blond pour exprimer sa bonne volonté, tire un peu la chemise de Chris pour l'attirer contre lui. Il est beau, tout le monde le sait ; mais Andrea ne pensait pas avoir un jour l'occasion de l'observer de si près. Et cette vision, couplée aux effluves d'alcool et au désir qui gronde dans le bas de son ventre, lui procure un effet tout particulier qu'il n'est pas sûr de saisir. Il prend l'initiative de déposer ses lèvres sur celles du blond à nouveau, pour retrouver la sensation éphémère qu'il aimerait graver au fond de sa mémoire mais dont il n'aura sans doute que des bribes demain.

Chris rejoint sa chambre et se laisse tomber sur le lit avec un sourire béat. Si il est un peu chanceux, le baiser aura su convaincre sa doublure de l'accompagner, histoire d'égayer sa soirée, d'enterrer la hache de guerre d'une façon tout à fait particulière mais pas déplaisante. Son esprit s'évade un peu, alors qu'il fixe le plafond en attendant Andrea laissé à sa reflexion dans la cuisine. Lorsque le brun passe le pas de la porte, Chris lui offre un sourire amusé. Si il avait été en pleine possession de ses capacités mentales, il aurait sûrement entre aperçu la vulnérabilité derrières les grand airs, mais l'alcool change la donne, balance un flou artistique sur la situation qui a pourtant tout d'anecdotique. Les trous noirs feront leurs œuvre dans la nuit, en attendant Chris hausse un sourcil et répond tout simplement. « C'est pas mon genre, je sais pas si c'est le genre de qui que ce soit de planter la personne AVANT d'ailleurs. » Il secoue la tête, mais l'invite du regard. Chris a sûrement beaucoup de défauts, mais très certainement pas celui d'humilier un garçon après l'avoir fait miroiter. « Mais vu la haute estime que tu as de moi, c'est pas si surprenant que ça te traverse l'esprit. » Un rire accompagne le tout, un rire presque sincère, incrédule. Chris n'a jamais eu à faire à quelqu'un qui l'apprécie si peu. Il doit dire que d'ordinaire, il ne s'envoie pas non plus en l'air avec ce type de personne. « Mais non, je suis vraiment intéressé. Viens là. » Il ajoute en lui faisant signe de s'approcher.